Il y a seulement quelques années, qui l’eût cru ? Deux pharmaciens d’officine sur trois sont actuellement en recherche de personnel et quelque 15 000 postes (pharmaciens et préparateurs confondus) sont à pourvoir. L’avenir proche apparaît même alarmant puisqu’à la rentrée 2022, 1 100 places - sur près de 4 000 offertes - sont restées vacantes en 2e année de pharmacie. Autre chiffre qui interpelle, révélé par la présidente du Conseil de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), Carine Wolf-Thal : 25 % des diplômés « s’évaporent » à la fin de leurs 6 ans d’études.
Le recours à l’intérim
Contraintes d’horaires et gardes qui rebutent, salaires jugés insuffisants, méconnaissance des métiers de la pharmacie, manque de visibilité des études, effets négatifs ou mauvaise application de la réforme des études de pharmacie, crise sanitaire… Les causes de la pénurie sont nombreuses et connues. Mais il y a maintenant urgence à agir pour renverser la vapeur. Des pistes existent mais demandent réflexions, concertations et du temps pour mettre en œuvre des mesures. En attendant, faute de CDI et de remplaçants, les pharmaciens d’officine essaient de trouver des solutions à court terme. Selon les cas : fermer le samedi après-midi, écourter les horaires d’ouverture, se passer de vacances ou tirer le rideau une partie du mois d'août, proposer des heures supplémentaires à l’équipe (mais il y a peu d’amateurs) ou recourir à l’intérim. « Ma pharmacie se situant dans une résidence qui compte, entre autres, une grande surface, il m’est impossible de modifier mes horaires d’ouverture. Et comme je ne trouve pas de remplaçant(e)s, je prends des intérimaires pendant les arrêts maladies et les congés quand je n’ai pas d’autre solution et là, j’en trouve, explique Corinne Dubreuil (Pharmacie Grand Siècle à Versailles). Mais seules les pharmacies ayant une trésorerie suffisante peuvent se le permettre car c’est coûteux. »
Céline, préparatrice intérimaire très appréciée dans cette pharmacie, y trouve son compte. « J’ai travaillé 2 ans dans une officine mais c’était au moment fort du Covid-19, l’ambiance était exécrable. Je suis partie mais j’avais perdu confiance en moi. Pôle emploi m’a alors conseillé des remplacements qui m’ont remise en selle. Et puis comme je voulais un enfant et acheter un appartement, j’ai trouvé un CDI mais je me suis séparée de mon compagnon et j’ai repris l’intérim chez 24/7. Partout où je vais, j’apprends, c’est varié, enrichissant et je suis mieux reconnue. Je m’organise aussi comme je veux et la rémunération est plus intéressante, avec des primes, des indemnités de congés payés et de déplacement et, de plus en plus, un hébergement quand la mission est loin du domicile. Ma mère ne me comprend pas, elle a peur pour mon avenir mais les mœurs changent, il faut bouger, expérimenter… »
Informer et communiquer
Si l’intérim peut rendre service, ce n’est évidemment qu’une solution palliative et transitoire. Mais force est de reconnaître que les salaires prévus sur la grille salariale découragent. Dans une enquête de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), la majorité des officinaux disent que le manque d’attractivité des salaires est l’une des causes de leurs difficultés à recruter et que, pour embaucher un adjoint ou un préparateur, ils doivent offrir des salaires supérieurs. Tout le monde en est conscient (voir « le Quotidien » du 26 janvier 2023). L’absence de visibilité jusqu’ici de la filière Pharma sur Parcoursup, la plateforme de pré-inscription des futurs bacheliers, est aussi pointée par tous. Mais le ministère de l’Enseignement supérieur ayant été alerté a corrigé le tir. Un point positif.
Toutefois, le système PASS (parcours d’accès spécifique santé) /LAS (licence accès santé) ne semble pas la bonne solution pour attirer de nouveaux étudiants en pharmacie. Faut-il revenir à un accès direct en 1re année ? Maintenir la filière dans la première année commune MMOPK ? Ou simplifier et aménager le dispositif PASS/LAS ? Les avis des syndicats, du Conseil des doyens et de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) divergent. En revanche, il y a consensus pour porter les efforts sur l’information et la communication. L’ANEPF, par exemple, a lancé en début d’année une campagne sur TikTok en direction des lycéens (hashtag « on est bien en pharmacie ») avec un concours de « like » et, « ça a très bien marché : 2 millions de vues ! », se réjouit son porte-parole, Romain Gallerand. Pour sa part, le CNOP va développer ou mieux utiliser les outils existants pour faire la promotion des métiers de la pharmacie auprès des lycéens, des étudiants, des conseillers d’orientation, des élus, au sein des pharmacies, etc.
Trop de contraintes
Pour mettre au point un plan d’actions, l’Ordre a créé en janvier une Commission des nouveaux inscrits, formée de 8 jeunes de 25 à 35 ans, de différentes régions, pour connaître et comprendre leurs attentes et aussi « imaginer avec eux de nouvelles façons de travailler en officine, plus attractives et tenant compte des changements technologiques et sociologiques », explique, enthousiaste, Bruno Maleine, vice-président du CNOP.
De fait, si toutes ces pistes sont intéressantes, la désaffection pour les métiers de la pharmacie est peut-être surtout d’ordre sociétal. C’est ce que pense Fabrice Camaioni, vice-président de la FSPF. « Les salaires sont assez élevés, il y a bien plus pénible comme conditions de travail, nous avons une bonne image, nos nouvelles missions sont attrayantes, le métier est plus dynamique et varié qu’autrefois… Mais les jeunes trouvent les horaires contraignants, le télétravail n’est pas possible, la vie privée prime. Pour moi, c’est bien plus inquiétant et, comme dans certains autres métiers, il faudra beaucoup de temps pour s’adapter et régler le problème de la pénurie de personnel… »