Marion fixe l'ordonnance qu'elle tient entre les mains. Après quelques secondes, elle relève la tête, jette un regard à gauche, puis à droite pour chercher de l'aide. Aux autres comptoirs, ses collègues sont très occupés.
- Il y a un problème Madame ? Nous arrivons de l'hôpital. L'oncologue nous a dit que ce médicament allait redonner des globules blancs à ma femme.
Marion sourit à Monsieur Perrin. L'homme est un habitué de la pharmacie et depuis que sa femme a un cancer, il vient très régulièrement. Depuis que son épouse est malade, l'ancien agriculteur est devenu aidant. Mais à 80 ans passés, il s'épuise. La pharmacienne a l'impression qu'il a perdu du poids. Il faudra en discuter avec lui.
- Non pas de problème Monsieur Perrin. Elle n'a pas eu sa séance, c'est cela ?
- Si. Ils ont hésité et puis finalement, ils lui ont fait les injections.
Il secoue la tête et soupire, comme pour dire à Marion que tout est sans espoir maintenant. Marion continue à lui sourire. S'il n'y avait pas le plexiglas entre eux, elle lui aurait saisi la main pour lui signifier son empathie.
- Je n'ai pas le médicament en stock. Mais je le commande pour demain. Vous m'excusez, je valide juste un détail à Madame Dupré.
Dans le back-office, Marion explique la situation à Karine.
- Je ne sais plus ce qu'on peut faire ou ne pas faire. Par exemple, dans ce cas, je substitue ou pas ? C'est possible ou non ?
- C'est un vrai sac de nœuds, en effet. Si j'ai bien compris, la substitution est autorisée, mais il y a encore des critères à préciser. Lesquels ? Ça, je ne sais pas. De toute façon, comme on n'a pas ces médicaments en stock, ça n'a pas beaucoup d'importance.
S'approchant des deux femmes, Jean-Paul fronce les sourcils et leur tend un papier :
- Regardez, une invitation au dépistage du cancer colorectal. Le client a entendu je ne sais où qu'il pouvait retirer son kit à la pharmacie. Il veut que je lui en donne un. On n'a pas ça nous ?
- Ça aussi, ce n'est pas très clair. Oui, les pharmaciens peuvent remettre des kits de dépistage, mais il y a une formation à suivre et c'est au centre de dépistage régional de s'en occuper. Si j'ai bien compris. Dans notre région, je n'ai pas eu de nouvelles, donc pour le moment, on ne remet pas de kits.
- Oui mais, oui mais, oui mais… c'est toujours la même chanson en fait ! Ça pourrait être simple, mais on aime faire des usines à gaz, grogne Jean-Paul.
- Pour une fois, tu as raison JP. On nous annonce la parution des textes qui valident des nouvelles missions. Et finalement, il y a toujours un « mais » qui au final rend ces textes inapplicables, ajoute Marion.
- Et je ne vous parle pas de l'imbroglio autour de la vaccination. On peut vacciner, mais uniquement les vaccins sans ordonnance obligatoire, et le patient ne sera pas remboursé. Et concernant la formation, c'est très obscur. Bref, il faut encore attendre…, poursuit Karine.
- De toute façon, moi, je n'en ai plus rien à faire. La retraite approche à grand pas, fanfaronne Jean-Paul.
Karine se décompose, espérant que Jean-Paul ne quitte pas l'officine avant l'été. Marion retourne près de Monsieur Perrin.
- Nous aurons le médicament demain matin, Monsieur. Vous pourrez revenir ?
- Oui. Demain matin. Je dois revenir faire des courses et ma femme doit voir le médecin généraliste. Ah, on en fait des trajets avec cette fichue maladie…
(À suivre…)