Avant sa délivrance au comptoir, le médicament est l’objet d’âpres négociations pour la fixation ou la réévaluation de son prix. Tout l’art de ces échanges repose sur la meilleure façon d’utiliser les fonds publics tout en permettant au médicament d’accéder au marché français. Alors que les innovations thérapeutiques affluent ces dernières années, la régulation sur les dépenses du médicament semble toujours plus forte. Tout simplement parce que « c’est un levier facile à mobiliser pour des économies rapides », note Dominique Libault, directeur de l'École nationale supérieure de la Sécurité sociale (EN3S) et ancien directeur de la Sécurité sociale (2002-2012), qui reconnaît volontiers « le court-termisme du système français ». Il appelle à le repenser en tenant compte à la fois « des besoins thérapeutiques et sociétaux, de l’efficience du système pour concilier innovation et accès aux soins et de l’importance de faire travailler tous les acteurs ensemble ».
Président du Comité économique des produits de santé (CEPS), Philippe Bouyoux jongle, lors des négociations avec les laboratoires, avec la prise en compte « de l’innovation, de la disponibilité des produits essentiels et des entreprises qui peuvent assurer une sécurité d’approvisionnement ». Autrement dit, « on multiplie les objectifs avec un seul outil : le prix ». Résultat : « L’écart entre la hausse tendancielle des dépenses et la hausse socialement souhaitable est en train de s’accroître. » La solution selon l’économiste Margaret Kyle ? « Lier les profits à la valeur de l’innovation » et donc « payer plus pour les innovations très importantes et moins pour les autres ». À ses yeux, « en France il y a trop de dépenses pour des médicaments qui ne le méritent pas ». En outre, les prix sont trop figés malgré la possibilité d’obtenir des données en vie réelle plus rapidement.
Leviers historiques
En attendant, que faire des « quatre leviers historiques de la régulation » ? Pour Philippe Bouyoux, le premier levier, les baisses de prix, est légitime. « Ce n’est pas parce qu’on est dans une économie administrée qu’on ne doit pas avoir de baisses de prix en parallèle du développement de la concurrence. » D’autant, argumente-t-il, qu’il s’agit d’une « négociation produit par produit, sur-mesure ». Attention néanmoins à ne pas imposer des prix trop bas par rapport aux pratiques des autres pays, prévient Pierre Dubois, professeur de sciences économiques à la Toulouse School of Economics (TSE). « Car si la demande mondiale est trop forte pour les capacités de production, les industriels serviront d’abord les pays qui paient les prix les plus élevés. »
Le dispositif des remises (2e levier) permet d’accorder conventionnellement un avantage au laboratoire par un prix facial plus élevé que le prix réellement négocié, explique le président du CEPS. « La remise c’est le prix facial moins le prix net, ce n’est donc pas de la régulation. » Mais rien ne garantit que d’autres pays n’accordent pas le même genre d’avantages, faussant un peu plus le jeu de la cohérence des prix. « C’est pourquoi nous avons besoin d’une gouvernance européenne », plaide Jean-François Brochard, président de Roche France.
La clause de sauvegarde, destinée à contenir les dépenses en cas de croissance trop rapide du chiffre d’affaires des laboratoires, est imprévisible et « difficile à justifier d’un point de vue normatif », souligne Pierre Dubois. D’autant que les industriels ont le sentiment que cette clause n’est plus exceptionnelle. Pour Philippe Bouyoux, ce n’est « pas sa vocation » et si cette taxe fiscale « devient structurelle », cela renvoie à la question de l’écart grandissant entre « dynamique spontanée des dépenses et dynamique socialement acceptable ». Pour Jean-François Brochard, ce mécanisme doit absolument rester un « dernier recours » en raison de son effet délétère sur l’attractivité.
Impact écologique
Dernier dispositif de régulation : la maîtrise médicalisée. Elle est plébiscitée par les laboratoires puisque, rappelle Corinne Blachier-Poisson, directrice générale d’Amgen, « l’objectif d’un médicament c’est de soigner et d’allonger l’espérance de vie ». S’il remplit sa mission, il répond à cette maîtrise médicalisée. Mais son utilisation reste limitée en dehors de la mise en place de rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP) auprès des professionnels de santé. De leur côté, les industriels sont surtout intéressés par les contrats de performance car ils permettent de « lier dans le temps prix et performance du médicament en vie réelle ». À condition que cet outil fonctionne dans la pratique, ajoute Philippe Bouyoux. Car de mémoire de CEPS, l’expérience jusqu’alors n’a pas été concluante.
Le constat d’un système de régulation à bout de souffle est partagé par les parties prenantes, mais aucune solution de remplacement ne se détache. Faudrait-il se pencher dans le détail sur l’utilisation des ressources en santé, comme le suggère Jean-François Brochard ? Ou améliorer le système de régulation existant, comme le propose Dominique Libault, par exemple en tirant parti de la réduction des hospitalisations grâce à une innovation thérapeutique ? Et comment prendre en compte l’impact environnemental du médicament ? « Deux médicaments à SMR identique mais avec un impact écologique différent doivent-ils être pris en charge par la Sécurité sociale de la même façon ? Ou bien notre système de prise en charge, par le biais du prix, du remboursement et de la rémunération des distributeurs que sont les grossistes-répartiteurs et les pharmaciens, doit-il inciter à une production plus respectueuse de l’environnement ? » L’appel à contributions est ouvert.
D’après le colloque « (Ré)inventer l’économie du médicament » organisé par le LEEM le 27 juin dernier.
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