- Monsieur, s'il vous plaît. Il faut remonter votre masque sur le nez. S'il vous plaît…, dit Jean-Paul d'un ton sec à un homme qui vient de franchir la porte de la pharmacie.
- J'en ai marre de ce masque. Et tout ce tralala…, rouspète le client en prenant à partie les personnes qui l'entourent.
Il finit par se résigner, tout en continuant à ronchonner. Quand son tour arrive, le client se retrouve face à J-C.
- Ah ! Du losartan. On a un petit problème d'approvisionnement en ce moment, pour ce médicament, explique le titulaire. Mais ne vous inquiétez pas, il y a des solutions. Pleins de solutions.
- Quoi encore ! Vous n'en avez pas ?
Sans répondre, J-C regarde les stocks du médicament. Il lui reste une boîte de 90, à un dosage plus faible que celui prescrit.
- Alors voilà ce qu'on va faire. Je vais vous délivrer une boîte de losartan, mais au dosage à 50 mg. Il faudra donc prendre deux comprimés, puisque normalement vous prenez 100 mg. Vous me suivez ?
- Oui. Mais vous en aurez la prochaine fois ?
- Je n'en sais strictement rien. Il y a un problème sur la chaîne de production, et tous les médicaments de losartan sont plus ou moins impactés.
- Mouais. Ils font bien ce qu'ils veulent ces laboratoires.
Une fois le client parti, J-C regarde dans la direction de Jean-Paul pour l'avertir :
- Plus de losartan. Et je ne pense pas qu'on va en recevoir de sitôt.
- Eh bien on substituera par un autre sartan : candésartan, irbésartan… Il y a un tableau d'équivalence affiché près du poste de réception des commandes.
La cliente suivante s'approche du comptoir. Alors qu'il la salue, J-C essaie vainement de se souvenir de son nom. Il la connaît, c'est sûr. Pourtant, il ne se souvient pas de l'avoir déjà servie ici, à la pharmacie. Blonde, cheveux mi-long, lunettes noires. Il a dû la rencontrer dans un autre contexte. La cliente lui tend une ordonnance.
- Merci Madame…
Quelque peu déstabilisé en comprenant qu'il se trouve face à Sylvie Vartan, le titulaire se reprend vite :
- Vous êtes en vacances dans le coin ?
- Des vacances, tu parles. Je suis en tournée, et je donne un concert ce soir, répond la chanteuse en prenant un flacon de gel hydro-alcoolique qu'elle finit par poser sur le comptoir pour l'acheter.
- Vous avez votre carte de complémentaire, Madame ?
- Oui, bien sûr.
- C'est écrit de plus en plus petit sur ces cartes. Ou alors je deviens presbyte, explique le pharmacien tout en éloignant la carte de complémentaire de ses yeux.
- Tenez, vous voulez mes lunettes loupes ?, propose très sérieusement Sylvie Vartan. Je les ai toujours avec moi. Sauf quand David me les pique et oublie de me les rendre.
- Merci, mais ça devrait aller, répond J-C, réalisant la situation complètement irréaliste qu'il est en train de vivre. Il se ressaisit à nouveau :
- Ma mère, qui avait cette pharmacie avant moi, serait tout excitée si elle vous voyait. Elle vous adore depuis toujours. J'ai même failli m'appeler Nicolas…
- Ça ne me rajeunit pas. Vous faites quoi ce soir ?, demande la chanteuse de sa voix grave. Venez donc me voir, avec votre mère et qui vous voulez. Je vous laisse le numéro de Natacha. Passez par elle pour réserver les places en VIP.
Dans le back-office, Marion prend une grande inspiration puis se décide à frapper à la porte du bureau de Karine. La voix de la titulaire l'invite à entrer. Lorsque Marion ouvre la porte, elle trouve Théo, Christèle et Karine assis, visiblement en pleine discussion.
- Tu voulais quelque chose Marion ?
- Euh, ça pourra attendre. Désolée de vous avoir dérangés, finit par dire l'adjointe avant de se sauver précipitamment.
(À suivre…)