Étude hors norme, résultats majeurs
Un article paru dans Sciences en février 2022, cosigné par 37 scientifiques de renom, à travers l’Europe a fait grand bruit. On pourrait dire qu’il y a « un avant » et « un après ».
En France, les travaux menés par le Pr Jean-Baptiste Fini (Muséum national d'histoire naturelle MNHN/CNRS) cosignataire de l’article avec le Pr Barbara Demeneix, ont contribué, par l’étude des hormones thyroïdiennes dans un modèle amphibien, à valider expérimentalement la corrélation entre l’exposition de l’enfant in utero à un cocktail de PE et son retard de langage à deux ans, témoin d’un neurodéveloppement altéré.
L’étude (EDC-MixRisk, Endocrine Disrupting Chemicals) qui a permis d’accéder à ces résultats est un modèle rare d’étude translationnelle et collaborative, financée par un programme européen.
Point de départ : l’étude épidémiologique de la cohorte suédoise SELMA qui a suivi 1 800 femmes enceintes et leur enfant in utero et jusqu’à 30 mois. Chez les femmes, des prélèvements biologiques (sang, urines) ont été réalisés pendant la grossesse. Chez les enfants, le nombre de mots prononcés a été suivi régulièrement jusqu’à leurs 2 ans, pointant chez certains un retard de langage, objectivé au fil des mois du suivi jusqu’à deux ans.
De façon à connaître leur exposition à des polluants chimiques communs (phtalates, perfluorés, bisphénol A), les dosages de ces composés chimiques ont été entrepris dans les échantillons récoltés pendant la grossesse. Ce que révèle ces dosages impressionne : les enfants nés des 10 % de femmes les plus exposées présentent un risque de retard de langage multiplié par 3,3 par rapport à ceux nés des 10 % de femmes les moins exposées. Autrement dit : le risque de retard de langage chez les enfants fortement exposés avant la naissance est triplé.
Dans les prélèvements des mamans dont les enfants présentent un retard de langage (moins de 50 mots à 30 mois) les chercheurs ont observé la prépondérance d’un mélange de produits chimiques, baptisé mélange N (5 phtalates, 3 composés perfluorés (PFAS) et bisphénol A). Recréé en laboratoire, il a été distribué à 9 laboratoires européens, enclenchant une étude internationale inédite d’envergure testant à la fois in vitro et in vivo, sur des cellules animales et humaines, les modifications induites par le mélange N sur le neurodéveloppement et les modes d’action de ce mélange commun de produits chimiques.
Hormones perturbées, neurodéveloppement affecté
En France, le mélange est étudié par l’équipe des Pr Barbara Demeneix et Pr J-B Fini, spécialisée dans les perturbateurs de la signalisation des hormones thyroïdiennes. « Les hormones thyroïdiennes sont indispensables au développement harmonieux du cerveau de l’enfant in utero et par la suite à sa maturation. Elles participent grandement à la mise en place organique et fonctionnelle. Si l’ensemble de ces étapes ne sont pas accomplies au bon moment, elles ne le seront jamais, souligne J-B Fini. Des niveaux optimaux d'hormones thyroïdiennes maternelles sont nécessaires en début de grossesse pour la croissance et le développement du cerveau », précise-t-il.
Dans son équipe, on utilise les amphibiens, dont la métamorphose est initiée par un pic de la même hormone que chez l’homme. Ce modèle est donc idéal pour comprendre les mécanismes à l’origine des perturbations des hormones thyroïdiennes et du neurodéveloppement.
Après seulement 72 heures d’exposition des têtards de Xénope au mélange N, la disponibilité des hormones thyroïdiennes est modifiée de façon dose-dépendante. Au niveau du cerveau, l‘expression des gènes du cerveau de Xénope est affectée et la mobilité des têtards est entravée indiquant possiblement un développement cérébral aberrant.
Des études menées par d’autres partenaires sur des poissons zèbre ou sur des cellules cérébrales humaines viennent corroborer ces résultats et apportent des informations sur les perturbations des autres systèmes hormonaux (œstrogènique, corticostéroïde).
Un cocktail sinon rien
En utilisant de façon complémentaire des techniques in vivo et in vitro et en travaillant statistiquement l’ensemble des données, il a été possible de proposer de nouvelles approches de l’évaluation du risque. « De cette façon, si l’on considère cette fois une approche par mélange complet, nous avons pu montrer des effets préoccupants à des doses du mélange, où chaque molécule est pourtant à une dose inférieure à celles jugées comme problématique par les approches traditionnelles. Si on étudie de nouveau les données des mères suédoises (étude SELMA), on peut dire que l’exposition au mélange chez ces mères expose 54 % des enfants à un risque de troubles neurologiques » pointe Pr Fini.
La révélation de l’effet « cocktail » de l’exposition aux PE sur le neurodéveloppement montre les limites de la réglementation actuelle qui préconise des seuils de toxicité composé par composé.
Il est à espérer que les propositions générées par cette étude de très haut niveau scientifique trouvent leur traduction dans les politiques publiques en imposant des mesures permettant de réduire drastiquement l’exposition aux PE des citoyens -particulièrement les femmes enceintes et les jeunes enfants -, et en révisant la réglementation actuelle.
Pour aller plus loin : https://edcmixrisk.ki.se/. EDC-MixRisk est un projet de l'UE conçu pour aboutir à un environnement plus sûr pour nos enfants, un environnement dans lequel la prochaine génération pourra vieillir sans que sa qualité de vie soit menacée par des produits chimiques environnementaux ou leurs mélanges.