Crise sociale aux Antilles

Les pharmacies au cœur des violences urbaines

Publié le 03/12/2021
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Alors que la Guadeloupe et la Martinique sont le théâtre de violents affrontements et d’exactions, les pharmaciens sont pris pour cible par les émeutiers, initialement opposés à l’obligation vaccinale pour les soignants.
Une situation insoutenable

Une situation insoutenable
Crédit photo : AFP

Il est 19 heures, le 29 novembre, quand Marie-Claude Synesius quitte son officine de Petit-Bourg (Guadeloupe) pour rentrer chez elle. La titulaire n’a pas fait un kilomètre qu’elle est arrêtée sur la route nationale par l’un des barrages qui se répandent sur l’île. Des jeunes visiblement très excités, la questionnent, le ton monte, devient insistant. La pharmacienne doit justifier sa présence, décliner son identité et sa profession.

Parmi ces 15-20 ans, sous l’emprise de l’alcool ou d’autres substances, certains ont déjà passé le seuil de son officine. Marie-Claude Synesius ne perd pas son calme, elle argumente, parlemente jusqu’à ce que les jeunes la laissent finalement franchir l’obstacle entre deux brasiers. Elle devra regagner son domicile par un chemin de campagne, dans la nuit profonde, encore sous le choc de la violence de ces voyous. Le barrage finira par prendre feu dans la nuit, mettant fin – momentanément - aux agissements de ces raquetteurs.

Marie-Claude Synesius vient de vivre ce qu’elle redoutait tant pour ses confrères et consœurs des 160 pharmacies de Guadeloupe, « ne plus pouvoir assurer la continuité des soins en toute sécurité ». Présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), elle a été signataire avec l’ARS et l’URPS d’un appel à la solidarité proposant aux pharmacies de baisser le rideau pendant quatre heures la journée du 30 novembre. Un geste de soutien alors que plusieurs pharmacies ont été pillées, saccagées, comme celle d’Antoine Salomon, à Morne-à-l’Eau, le 21 novembre. Ce cri d’alarme contre la violence qui secoue la Guadeloupe depuis désormais plus de dix jours, est aussi un appel aux autorités. « Nous voulons pouvoir exercer en toute quiétude, pour nos collaborateurs mais aussi pour nos patients », explique Jean-Marc Piquion, président de l’URPS pharmaciens. « Certes, nous avons obtenu de l’ARS une protection de nos officines par des vigiles », déclare Marie-Claude Synesius. Mais la profession n’a toujours pas reçu le renfort des forces de l’ordre, demandé par la profession à Olivier Véran, ministre de la Santé, afin que les gardes jusque-là assurées au téléphone, puissent reprendre.

En visite sur l’île le jour même, Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer a annoncé l’envoi de 70 gendarmes et de 10 membres du GIGN supplémentaires. Pour autant, son séjour s’est soldé par un échec des négociations avec l’intersyndicale et de nombreux élus locaux ont boycotté la rencontre. Et ce alors même que le gouvernement a accordé un moratoire jusqu’au 31 décembre et quelques assouplissements, comme le recours à des vaccins sans ARN messager.

La sécurité n'est plus assurée

Les mouvements perdurent et s’intensifient bien au-delà de la contestation de l’obligation vaccinale, élément déclencheur de cette crise sociale. Elle a depuis gagné la Martinique où, également, des bandes de jeunes se sont approprié les routes. Les pharmacies n’ont pas échappé aux pillages et cambriolages, tout particulièrement dans la nuit du 24 au 25 novembre. « La sécurité n’est plus assurée. Sur les routes nous sommes exposés aux barrages et à d’éventuels rackets. Trois officines ont été pillées et saccagés et une autre a été touchée par l’incendie du centre commercial dans lequel elle est implantée (Creolis au Robert N.D.L.R.) », énumère Sébastien Narèce, vice-président du syndicat des pharmaciens de Martinique (FSPF).

En réaction, les deux syndicats de pharmaciens ont également appelé à une fermeture des officines le week-end dernier. Bien que la situation se soit quelque peu apaisée, les officinaux restent très prudents. « Tant que la sécurité n’est pas revenue, les gardes sont reportées sur la pharmacie de l’aéroport et quelques confrères volontaires. Le mot d’ordre à nos confrères est qu’ils restent chez eux en cas de moindre difficulté », explique Claude Marie-Joseph, conseiller ordinal de la section E (Outre-mer) et président de la délégation de Martinique.

Pour l’heure, en Guadeloupe où certaines officines ont été ravitaillées par voie maritime, comme en Martinique, aucune rupture d’approvisionnement n’est à déplorer, grâce à l’obligation faite aux grossistes-répartiteurs de détenir un stock équivalent à trois mois. Mais pour combien de temps encore ? « Nous avons une population âgée, précaire, souvent atteinte de plusieurs pathologies et par conséquent tributaire de son pharmacien. Il est primordial que nos entreprises tournent non-stop », insiste Jordi Zecler, président du syndicat des pharmaciens de Martinique (FSPF).

Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien