« Le cachou Lajaunie est le seul anti-nicotinique que tout fumeur doit rechercher. Excellent digestif et anti-microbe, il donne à la bouche une agréable fraîcheur », voici ce que disait une des premières publicités pour le bonbon toulousain.
Une jolie femme en habit Belle Époque présente la boîte ronde en métal jaune et noir devenue iconique. « Recommandé aux fumeurs, chauffeurs, cyclistes », pouvait-on lire sur une autre affiche réalisée en 1890 par l’artiste Francisco Nicolas Tamagno, célèbre pour ses innombrables collaborations publicitaires, à la touche très Toulouse-Lautrec. Toujours une jeune femme fumant nonchalamment sa cigarette. Heureusement, elle a pris soin de se munir de ses petites pastilles noires. Les cachous vont ensuite passer au cinéma et à la télévision. Souvenez-vous de ce spot très sensuel, dans le ton des années 1980, une magnifique blonde, surnommée « La Belle de Cadiz » se trémoussant et investissant tous les foyers avec cette phrase : « Cachou cachou Lajaunie Lajaunie… Han han ! ». Quatre secondes cultissimes, auréolées d’un prix en 1985. D’abord uniquement vendu en pharmacie, on trouvera ensuite le cachou dans les bureaux de tabac dès les années 1930, puis dans les supermarchés. Le cachou peut se targuer de faire le bonheur des mauvaises haleines et des mauvaises digestions depuis 140 ans !
Friandise addictive
Mis au point sous la forme qu’on connaît en 1880 par le pharmacien toulousain Léon Lajaunie qui se montrait inquiet de l’hygiène dentaire de ses clients, ce fameux bonbon officinal était pourtant déjà chiqué bien avant. Il faut voyager jusqu’en Inde pour trouver l’acacia à cachou ou acacia catechu. Du bois, on en tire une teinture brune mordant sur l’orangé et le jaune. De là vient par exemple le cachoutage, procédé de teinture des voiles de bateau très utilisé au XIXe siècle et reconnaissable à sa belle couleur brique dont la texture faisait barrage aux moisissures. Les Indiens mâchent les feuilles pour se couper l’appétit. Et du fruit, on en tire une gomme végétale résineuse, reconnue pour ses propriétés astringentes, contre la toux, la diarrhée, les bronchites.
À l’époque de Léon Lajaunie, le cachou était déjà vendu en pharmacie sous forme de poudre ou de pain brunâtre. Mais le génie du pharmacien est d’en faire une friandise addictive à la mode. La petite boîte ronde en métal au mécanisme ingénieux est confectionnée par un de ses amis horloger, tandis que les frères Sirven, imprimeurs et fabricants de boîtes métalliques, furent chargés de sa production. Idéale pour glisser dans une fine poche, comme une montre à gousset dont elle a la même taille (45 mm de diamètre). Même les dandys pouvaient savourer leurs cachous en toute discrétion.
Une affaire lucrative
Ce succès est aussi dû à une recette spécifique élaborée par Léon Lajaunie. Dans la pénombre de sa modeste officine, il imagine une pastille plus savoureuse que la poudre de cachou initiale. À celle-ci, il ajoute du réglisse, du sucre, de l’amidon de maïs, du lactose, de l’essence de menthe, du charbon végétal pour la coloration en noir, de la graisse végétale, ainsi que de la poudre d'iris et de la résine de lentisque pour l’amertume. Il décide ensuite d’aplatir et d’affiner ce mélange au maximum avant d’en couvrir les deux surfaces avec des feuilles d'argent, de laisser sécher à l’étuve et de découper la pâte en petits grains carrés avant, en phase finale, de les vernir avec un mélange de benjoin et de grains de mastic.
Grâce à la publicité naissante, l’affaire devint vite lucrative. La petite officine du quartier de l’Esquirol venait d’inventer une pépite. Il faut s’imaginer que l’atelier artisanal du pharmacien produisait déjà à lui seul un peu plus de 400 000 boîtes de cachou par an ! Rythme, comme l’on s’imagine, difficile à tenir. En 1904, à l’âge de 64 ans, Lajaunie vend donc les droits d’exploitation de son or noir aux frères Sirven, qui avaient déjà grandement participé au succès de son affaire. Pour la très belle somme de 200 000 francs, étant donné qu’à l’époque un salaire journalier moyen était de deux francs. D’autant qu’il négocie une rente d’un centime par boîte vendue jusqu’à sa mort. Lajaunie allait pouvoir passer une retraite agréable.
Recette inchangée
L’année 1906 garde le rythme de 400 000 boîtes vendues et ce chiffre ne fera qu’augmenter les années suivantes. Fort de cette embellie, Lajaunie décidera finalement de monter une autre affaire, de produits alimentaires hygiéniques cette fois, dont le Pepto Cacao Lajaunie qui connaîtra également un beau succès bien que beaucoup plus éphémère. L’année 1914 voit le décès de Lajaunie, sans bruit, la presse étant beaucoup plus préoccupée par les fracas de la guerre embryonnaire que par la disparition d’une célébrité toulousaine. Cela n’empêche pas le cachou de prospérer, notamment avec l’entrée en lice de Leonetto Cappiello, considéré comme l’un des plus grands affichistes de son temps. En 1930, la production passe le cap des 2 millions de ventes et les années de la Deuxième Guerre mondiale troquent le métal contre le carton. Ce sera l’unique fois.
C’est incroyable de penser que jusqu’en 1985, tout était fait à la main, même la mise en boîte ! La production automatisée fait passer le cachou dans l’ère industrielle tardivement. En 1993, les Laboratoires Pierre Fabre rachètent la marque avant de la revendre deux ans plus tard au laboratoire anglais Park-Davis, filiale du groupe américain Warner-Lambert, qui avait déjà dans son escarcelle les pastilles Vichy. Ces années consacrent la 250 millionième boîte vendue avec plusieurs séries spéciales, réalisées par le photographe Yann Arthus-Bertrand ou le couturier Castelbajac. Vendue au mastodonte alimentaire américain Kraft Foods en 1997, elle passe ensuite un temps entre les mains de l’anglaise Cadbury, qui sera elle-même rachetée par Kraft Foods, aujourd’hui Mondelez International, deuxième acteur mondial dans la filière de l’agroalimentaire. Retour à l’envoyeur !
La saga est impressionnante par sa longévité. Et chose encore plus extraordinaire, la recette de Léon Lajaunie n’a jamais été modifiée. Le cachou est toujours une friandise pharmaceutique, qui a traversé les frontières de l’officine et a conquis le monde entier. Sur la boîte, il est invariablement indiqué Toulouse, car le site de fabrication est toujours resté dans la ville rose.