Après des indicateurs économiques à la hausse en 2022

L'économie officinale tourne la page du Covid

Publié le 16/03/2023
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Placée sous la conjonction inédite de trois facteurs - la progression des ventes de médicaments chers, le retour des pathologies et la persistance des prestations Covid (TAG et vaccins) - l’exercice 2022 restera comme exceptionnel dans les annales de la pharmacie. Pourtant, les experts-comptables du réseau CGP comme la FSPF s'accordent pour dire que cette performance ne pourra se reproduire. Dès cette année, l'économie officinale sera confrontée aux défis de l’après Covid, associés à une inflation tenace.

La gestion de la crise sanitaire s'impose comme un élément incontournable des bilans 2022. TAG et vaccination ont contribué pour plus de 2 points à la hausse du chiffre d’affaires des pharmacies suivies par le réseau des experts-comptables CGP*. Entre le 1er novembre 2021 et le 30 octobre 2022, elles ont en effet engrangé un chiffre d’affaires de 2,265 millions d’euros, soit 10,92 % de plus qu’un an auparavant. Cette progression est d’autant plus spectaculaire que l’ensemble du réseau officinal semble avoir profité de cette manne.

« Toutes les pharmacies évoluent entre 9 et 10 %, quelle que soit leur typologie. À l’exception des officines de centres commerciaux qui progressent de plus de 13 % », relève Joël Lecœur, président de CGP, en précisant que 8 % seulement des officines subissent une baisse de leur activité. Certes, les officines de plus grande taille ont davantage pu s’investir dans la réalisation des missions Covid. Il n’en reste pas moins que, en moyenne, vaccination Covid et TAG ont pesé pour 81 900 euros dans l’économie officinale, soit 50 000 euros de plus que pendant l’exercice précédent.

Se passer des TAG

Mais ce qui apparaît être une force pour ce bilan peut se révéler être le talon d’Achille des années à venir. En l’absence de ces revenus exceptionnels, l’excédent brut d’exploitation (EBE) et la marge, qui a progressé de 94 700 euros en 2022, risquent fort d’être sérieusement entamés dans le prochain exercice. Joël Lecœur s’est prêté à l’exercice. Alors que l’EBE a connu l’année dernière une progression de 51 400 euros et ressort à 328 400 euros, soit 14,50 % du chiffre d’affaires, il fléchit à 11,72 % du chiffre d’affaires et ne progresse plus que de 6 000 euros, une fois les activités Covid retranchées.

Le président de CGP touche du doigt le point névralgique de l’économie officinale : « Le défi va être désormais de pouvoir se passer des revenus liés aux TAG. Car les prestations de service (TAG compris), qui atteignent aujourd’hui 141 500 euros, risquent fort à l’avenir de revenir au niveau de 2020-2019, soit 47 300 ou 46 250 euros. » Face à cette « perte » de plus de 90 000 euros, l’enjeu de 2023 sera d’absorber une baisse conséquente de la marge, de surcroît dans un contexte de forte augmentation des charges externes (loyers, leasing d’équipement) et des frais de personnels. Des frais de personnels qui ont déjà mobilisé, en 2022, la moitié de la croissance de l'EBE, contre un tiers les autres années.

Selon les projections de CGP, la marge (hors Covid) pourrait se réduire à 638 100 euros contre 662 100 euros en 2022, soit 29,23 % du chiffre d'affaires contre 30,34 %. De fait, le poids de l'inflation risque de se faire plus largement ressentir sur la marge en 2023, sous les effets conjugués de la hausse des prix d'achat du hors vignetté de 10 %, des frais tels que le loyer et les leasings, ou encore le prix de l'énergie, comme l'analyse Joël Lecœur. Selon lui, les pharmaciens auront des difficultés à répercuter la hausse de leurs coûts sur les prix de vente. « Nous pouvons par ailleurs nous attendre à une contraction des activités de parapharmacie et de conseil dans ce contexte inflationniste où le patient cherchera à faire des économies », redoute-t-il.

Un mois de janvier en retrait

Faut-il dans ce cas miser sur les deux autres leviers de croissance qui ont marqué 2022, à savoir le retour des pathologies et la hausse spectaculaire des médicaments remboursés de 10,28 % (hors honoraires) ? Rien n’est moins sûr. Car la croissance des médicaments de prescription, qui représentent en moyenne 75 % du chiffre d’affaires de l’officine, est désormais portée pour les deux tiers par les produits chers, peu générateurs de marge. Rien n'est moins sûr. Car la croissance des médicaments de prescription, qui représentent en moyenne 75 % du chiffre d'affaires de l'officine, est désormais portée pour les deux tiers par les produits chers, peu générateurs de marge. Les autres segments pourraient certes renouveler leurs scores de l'année passée : 1,53 % de hausse pour les produits de TVA à 5,5 % et + 5,15 % pour ceux de TVA à 20 %. « Ces derniers ont bénéficié d'un retour des consommateurs qui ont constaté que l'image prix de l'officine n'était pas aussi mauvaise », commente Joël Lecœur, objectant que ces catégories pèsent cependant peu en volume dans l'activité officinale. Quant aux produits de TVA à 10 %, leurs ventes se sont emballées à plus 17, 51 % grâce aux épisodes de pathologies au printemps et à l'automne 2022. Aucune certitude ne permet d'assurer que ce deuxième facteur perdure à l'avenir. Car déjà, alerte Joël Lecœur, le niveau des ventes de janvier 2023 est en retrait de 10,5 % par rapport à l'année dernière.

Des négociations difficiles

Ce constat est corroboré par les observations de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui indique une baisse de 8,9 % du chiffre d'affaires global en janvier par rapport au mois de référence de 2022. En cause, la chute abyssale de 96,3 % des prestations Covid et, dans une moindre mesure, la baisse de 12,3 % du marché du non remboursable que n'auront pu compenser la hausse de 12,1 % du médicament remboursable, les honoraires en progression de 4 %, tout comme l'augmentation de 7,9 % des ventes en médicament non remboursable.

Résultat, la marge de ce premier mois de l'année est largement entamée et recule de 48,3 % par rapport à janvier 2022. Philippe Besset, président de la FSPF, ne cache pas son pessimisme. « Les chiffres de janvier font apparaître un poids croissant des médicaments chers dans l'activité. Ils représentent désormais 20,57 % du chiffre d'affaires des médicaments remboursés, contre 18,80 % en janvier 2022, ce qui aura un nouvel impact sur la marge. De plus, les négociations avec les fournisseurs – grossistes répartiteurs et génériqueurs - se sont durcies depuis 2022 et font craindre une baisse des remises commerciales. Enfin, les efforts effectués sur les salaires en 2022 vont se perpétuer », énumère-t-il, affirmant que les résultats des mois de janvier et de février augureront de ce que sera l'exercice 2023. Toutefois, Philippe Besset se fait peu d'illusions : « Les pouvoirs publics ne considèrent que les indicateurs de la pharmacie émis en 2021 et 2022. » Et de craindre que les négociations avec l'assurance-maladie, à l'automne, s'annoncent tendues. « Il va falloir convaincre nos interlocuteurs que la situation se dégrade. » Et si revalorisation de la rémunération des pharmaciens il y a, elle n'interviendra au plus tôt que six mois après l'issue des négociations, soit en juin 2024 !

 

* Sur 1 807 officines, dont 30,30 % en milieu rural, 27,47 % en gros bourg, 35,04 % en zone urbaine et 7,19 % en centre commercial. 85 % d'entre elles ont un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 million d'euros et 35 % un chiffre d'affaires supérieur à 2,5 millions d'euros.

Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien