Fressenneville est une ville de 2 200 habitants, à l’ouest de la Somme. Avec les communes voisines de Friville-Escarbotin (4 700 habitants), Feuquières (2 600), Woincourt (1 300), Béthencourt-sur-mer (1 000), et quelques villages plus petits, elle forme le Vimeu, capitale de la serrurerie et de la robinetterie françaises depuis trois cents ans.
Face au vieillissement des médecins et aux difficultés de trouver un successeur, les élus de la communauté de communes ont formé le projet d’une maison de santé pluridisciplinaire (MSP), qui a ouvert au printemps 2019. La volonté était de regrouper les cabinets de Friville, Fressenneville et Feuquières (les « 3 F ») et de créer un outil moderne. La MSP a pris le nom de Laënnec, et compte aujourd’hui sept généralistes, huit infirmières, une sage-femme, une pédicure, un ostéopathe, un kinésithérapeute, une psychomotricienne, une diététicienne et un laboratoire d’analyses. Deux médecins sont restés à Feuquières.
Bernard Davergne, alors président de la communauté de communes, décédé depuis, avait demandé aux pharmaciens du secteur de former un comité de pilotage et d’indiquer la meilleure démarche les concernant. Les élus communautaires, de leur côté, voulaient une MSP sur un terrain de la communauté, sans pharmacie proche.
Les pharmaciens ont abouti à considérer leur maillage comme « optimal », ce que les élus ont traduit par la volonté qu’on n’y touche pas.
Premier coup de griffe
Un premier coup de griffe à l’accord est venu de Friville-Escarbotin avec une demande de transfert de la Pharmacie centrale vers une zone commerciale bien plus proche de la MSP. Gérard Branlant, le titulaire, arguait alors du fait que les cinq médecins de la commune, jusqu'alors à 500 mètres de la pharmacie, seraient désormais éloignés de 3,5 km. L’agence régionale de santé (ARS) a refusé le transfert, rappelant « l’excellente répartition des pharmacies » (voir « le Quotidien » du 3 décembre 2018).
La nouvelle offensive vient à présent du pharmacien de Woincourt. Le village ne comptait aucun médecin avant la MSP, et Clément Dumesnil, le titulaire, fait construire face à la MSP. Retranchée derrière la loi, l’ARS a autorisé le transfert, la pharmacie étant seule sur le territoire communal et n’en sortant pas.
Les confrères sont heurtés. « C’est dommage, regrette Annick Letellier, titulaire à Dargnies, 1 300 habitants, à 6 km. Il n’y a plus de médecin à Dargnies depuis dix ans, le cabinet d’Incheville a fermé aussi. Je crains de perdre des patients qui s’arrêteront à Woincourt. »
Que personne ne bouge
« Il y aura un peu de pertes », admet par avance Marc Lecouf, qui vient de reprendre la pharmacie de Feuquières. Vingt pour cent de ses patients fréquentent la MSP de Woincourt, et l'ancienne titulaire qui lui a vendu l’avait assuré qu’il n’y aurait aucun transfert.
Une consœur, demandant à rester anonyme, rappelle qu’à la création de la MSP, il avait été souhaité qu’elle ne favorise personne, donc que personne ne bouge. « Une mauvaise manière faite à Gérard Branlant », dit-elle.
Florence Lefort, titulaire à Friville, soutient le pharmacien de Woincourt : « Ce que fait Clément [Dumesnil], tout le monde l’aurait fait », assure-t-elle.
Maillage optimal
Principal concerné, Clément Dumesnil précise qu’il a obtenu l’autorisation de l’ARS en juin 2021, que le terrain a été acheté, et les travaux suspendus depuis le 14 avril 2022, du fait d’une procédure à son encontre. Il refuse de ce fait de s’exprimer.
C’est bien l’autorisation de l’ARS qui est attaquée devant le tribunal administratif : « Les textes contre l’esprit de la loi », résume Gérard Branlant. Contactée, l’ARS répond que « l’agence intervient en stricte application de la réglementation applicable au transfert d’une officine ».
« À la création de la MSP, le comité de pilotage réunissait des pharmaciens, et nous avions conclu à un maillage optimal, rappelle Nicolas Thuillot, pharmacien à Fressenneville (Somme). Là, on va au déséquilibre, on va nous fragiliser en termes d’investissements. Ce n’est pas un service à la population : peut-on faire disparaître une pharmacie ? Il y a des pharmacies qui ferment en France, cela entraîne des conséquences économiques et sociales. Il ne faut pas toucher à leur maillage, une pharmacie dans chaque village, c’est bien. »