



Malgré le printemps, le vent de Cabourg est froid et coupant. On se réfugie dans la Villa du Temps Retrouvé, aussi coquette et élégante que l’ensemble de ce petit village de Normandie qui semble constitué de maisons-témoins. Pas un chat, rien ne dépasse. Le Casino, qui déplie ses baies vitrées sur le front de mer a des airs d’âge d’or endormi. Le ciel se déploie, peinture à la Eugène Boudin dans un bleu pâle si immense que tout le reste paraît minuscule. La carte postale est nostalgique. Mais la lumière rayonnante ravive les souvenirs dans une rafale de vent sifflante. Voilà pourquoi, sans doute, Proust, aimait tant Cabourg, la Balbec de ses écrits. Sa terre promise qu’il fréquenta en 1907 et 1914. Ici tout semble possible et tout semble passé. Paradoxe captivant pour le plus grand écrivain de la mémoire. On entre, à notre tour, dans le tableau. Un peu à la manière de Mary Poppins. On y est projeté. Et, sous nos yeux, la Belle Époque revit. Ses froufrous, ses galantes, ses peintres impressionnistes et ses cercles d’écrivains.
Cigarettes au datura
L’espace d’une heure, le temps retrouvé proustien. Mais l’écrivain souffreteux, constamment alité, devait aussi trouver ici un peu de baume à son corps et à son esprit. Asthmatique chronique, il était atteint de violentes crises respiratoires et d’essoufflement important et était si affaibli qu’il recherchait l’automédication : cigarettes antiasthmatiques Espic et fumigations de poudre Legras qui furent vendues en pharmacie jusqu’en 1992. Dans leur composition, la stramoine de datura, réputée être un calmant aussi puissant que l’opium pour soulager les crises nerveuses et maladies des bronches. Aux effets secondaires non négligeables… Il ajoutait à cela beaucoup de caféine et ne lésinait pas sur la morphine et les extraits d’opium… Il mourra d’ailleurs d’insuffisance respiratoire aiguë à 51 ans. En toile de fond, la société, ravagée par des maux lancinants, tuberculose et autre syphilis, malgré les progrès de la médecine.
Un tableau d’Albert Edelfelt représente Pasteur dans son laboratoire, en 1885, tenant dans sa main un morceau de moelle épinière prélevé sur un lapin atteint de la rage
C’est en référence à ce cadre historique que l’Institut Pasteur a transporté à la Villa du Temps Retrouvé une exposition sur la vie et l’œuvre du père de la vaccination, même si Proust et Pasteur ne se sont jamais rencontrés. En regard du Proust littéraire, une sélection de ravissantes peintures décline des portraits de femmes, celles qui ont contribué à l’épanouissement des arts et de la culture, du temps de l’écrivain. Certaines furent d’ailleurs ses amies dont Anna de Noailles dont il put dire qu’il n’admirait aucun écrivain plus qu’elle. Et en écho à une société en mutation qui connaît la révolution industrielle et les premières industries pharmaceutiques, le rôle de Pasteur, bien connu dans la découverte du vaccin contre la rage, est mis en lumière. En témoigne le tableau de son ami, le peintre norvégien Albert Edelfelt qui le représente dans son laboratoire à l’apogée de sa carrière en 1885, tenant dans sa main un morceau de moelle épinière prélevé sur un lapin atteint de la rage.
La théorie de la génération spontanée
L’exposition retrace ainsi le parcours du grand scientifique et revient en particulier sur son rôle dans la théorie de la génération spontanée puisque ses travaux sur la fermentation en 1856-58 menèrent, involontairement, à l’observation de l’origine des micro-organismes. N’étant évidemment pas miraculeuse, comme a voulu l’affirmer cette théorie durant des siècles, la présence des micro-organismes dans l’air ambiant est confirmée par Pasteur ce qui ouvre la voie au combat des airs viciés et infectés et aux règles nouvelles concernant l’hygiène, notamment dans les hôpitaux.
Adrien Proust, le père de l’écrivain, était lui aussi un grand hygiéniste qui fut chargé en 1869 d’une mission sanitaire en Russie et en Perse
Plus inattendu, l’exposition explique comment toutes ses recherches scientifiques peuvent être reliées à son goût prononcé pour les arts. On apprend qu’il eut par exemple la charge d’une chaire de géologie, physique et chimie à l’École des Beaux-Arts entre 1864 et 1867. Ce qui rappelle que très jeune déjà, à l’adolescence, il s’adonnait au dessin et exécuta une galerie de portraits de sa famille et de son entourage au pastel. Près de 40 tableaux sont aujourd’hui conservés par l’Institut Pasteur. Cette activité lui plaisait tellement qu’il rêvera d’être peintre avant de devenir le chimiste que l’on connaît. Mais une fois chimiste, il délivrera aux étudiants des Beaux-Arts ses « leçons de peinture », insistant justement sur l’importance pour un peintre de connaître la composition chimique de ses couleurs afin que les éléments réagissent bien entre eux. Ses conclusions, suite à des enquêtes poussées auprès de conservateurs et de restaurateurs du Louvre, conduiront même aux premières théories de conservation préventive, pour prendre soin des tableaux dans le temps afin d’éviter qu’ils ne se dégradent. Il écrira tout de même 500 pages à ce sujet, conservées aujourd’hui à la BNF et actuellement en cours d’études par des chercheurs ! Hasard heureux, Adrien Proust, le père de l’écrivain, était lui aussi un grand hygiéniste qui fut chargé en 1869 d’une mission sanitaire en Russie et en Perse afin de comprendre comment se transmet une épidémie de choléra. Il préconisera l’instauration de cordons sanitaires et de quarantaines.
Des échantillons de champignons vivants entre deux plaques de verre
Autre découverte singulière de l’exposition, les actions de Jean Binot, le conservateur de la collection microbienne de l’Institut Pasteur. Afin de présenter les cultures microbiennes au public lors d’expositions internationales – notamment à l’Exposition Universelle de 1900 - il enserrait des échantillons de ces champignons vivants entre deux plaques de verre. Cette matière vivante se transformait ainsi en étonnantes œuvres d’art, de véritables tableaux de micro-organismes, qui étaient transportés dans des caisses et présentés dans une grande armoire ! En effet, à travers ces plaques de verre dont certaines sont montrées dans l’exposition, on croit voir des couchers de soleil ou des voies lactées… Les plus fascinantes sont les « boîtes de Roux », fioles plates dans lesquelles les cultures sont enfermées et nourries avec de la gélose qui prend astucieusement la forme des lettres du nom de l’inventeur de la culture conservée, ce dernier apparaissant progressivement au fur et à mesure que les champignons sont nourris. Témoins presque fantomatiques aujourd’hui des recherches des scientifiques du XIXe siècle !
Cette passionnante exposition aborde ainsi les évolutions de la microbiologie et de la salubrité publique à travers la vie de Pasteur, tout en suivant le spectre asthmatique, mal soigné, d’un des plus grands génies littéraires dont il convient de rappeler que son état maladif ne fut pas complètement étranger à ses inspirations nées de douloureuses insomnies. Celui qui écrivait, en regardant l’horizon idyllique de Balbec : « Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ».
Infos pratiques :
Exposition « Louis Pasteur, l’art de la science » jusqu’au 10 novembre ; et parcours Belle Époque consacré aux femmes artistes et aux femmes influentes de la Belle Époque, Villa du Temps Retrouvé, Cabourg, villadutempsretrouve.com
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