Allemagne

Otto Carius : un tigre devenu pharmacien

Publié le 16/02/2015
Article réservé aux abonnés
Décédé fin janvier à l’âge de 92 ans, l’allemand Otto Carius créa en 1956 une officine dans une petite ville du Palatinat, qu’il dirigea pendant cinquante-cinq ans. Mais son existence n’avait pas toujours été aussi paisible : de 1943 à 1945, il fit partie des meilleurs tankistes de l’armée allemande, et détruisit à lui seul plus de 150 chars alliés, un palmarès exceptionnel dans le monde impitoyable des cuirassiers.

MONSTRES de 60 tonnes armés d’un redoutable canon de 88 millimètres, les chars Tigre furent les blindés allemands les plus puissants de la Seconde Guerre Mondiale, en dépit d’une fragilité mécanique qui en limita l’efficacité. Alors étudiant en lettres, Otto Carius fut versé en 1941 dans un régiment de blindés, gravit les échelons et prit, en 1943, le commandement de l’un de ces chars, avec lequel il s’illustra lors de nombreuses batailles en Russie. Les lourdes pertes qu’il infligea aux blindés soviétiques lui valurent les plus hautes décorations militaires ; grièvement blessé en 1944, il reprit ensuite du service sur le front occidental, et fut fait prisonnier par les Américains à l’extrême fin de la guerre.

Libéré peu après la capitulation allemande, il choisit alors d’étudier la pharmacie et ouvrit son officine quelques années plus tard dans sa région d’origine. Le Tigre lui ayant finalement porté chance, il lui donna le nom de « pharmacie du Tigre », et publia ses souvenirs de guerre en 1963, qu’il intitula « les tigres dans la boue ». Véritable légende, Otto Carius a pris clairement ses distances avec l’idéologie nazie, dont il a dénoncé les horreurs, et a souligné qu’il n’avait fait que son devoir de soldat. En dépit du grand succès rencontré par son livre, le pharmacien a toujours vécu discrètement, en s’opposant à toute « récupération » de ses exploits par les nostalgiques du IIIe Reich.

Il ne cessa officiellement son activité de pharmacien qu’à l’âge de 89 ans, mais continua à se rendre régulièrement dans son officine jusqu’à ces derniers jours. À l’annonce de son décès, de nombreuses publications historiques ou spécialisées lui ont rendu hommage, de même que certains grands quotidiens européens. Devant cet afflux de sympathie, la pharmacie du Tigre a remercié, sur son site Internet, toutes les personnes s’associant à son deuil, mais a rappelé aussi, une nouvelle fois, sa totale neutralité politique, son attachement à la démocratie et son refus de tout amalgame entre son fondateur et la période la plus sombre de l’histoire du pays.

DENIS DURAND DE BOUSINGEN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3154