On écouterait le récit de leurs missions pendant des heures. Alain, Michèle, Patricia sont de ces pharmaciens engagés auprès des populations les plus vulnérables « ici et là-bas » comme le rappelle le slogan de l’association PHI (pharmacie humanitaire internationale). Ici, c’est la France, où encore trop d’hommes, de femmes ou d’enfants restent en marge d’une prise en charge médicale et pharmaceutique à la hauteur des besoins. Là-bas c’est l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud ou l’Europe de l’Est, où les populations souffrent des guerres, de l’instabilité politique et économique, et du changement climatique.
À l’origine de la pharmacie humanitaire, il y a l’inégale répartition des richesses dans le monde, dont le médicament, et un constat : alors que des pays comme la France sont en excès de médicaments, d’autres tentent de se soigner avec le peu de produits auxquels ils ont accès. « En 1985, j'ai découvert par hasard l’association Pharmaciens sans frontières (PSF) par un article dans la presse professionnelle. Elle venait tout juste d’être créée par quatre pharmaciens d’Auvergne (Jean-Louis Machuron, Philippe Bon, Michel Camus, Daniel Santucci). Un an après, j’ai rejoint PSF », se souvient Alain Berthon, président de PHI. Comme lui, d’autres pharmaciens se sont reconnus dans ce mouvement solidaire. « J’ai été sensible à l’idée que moi, pharmacien, je pouvais aider les personnes en situation de précarité. C’est pour cela que j’ai intégré PSF dans les années quatre-vingt-dix. À l’époque, je faisais des remplacements en officine et j’avais des enfants en bas âge », témoigne Michèle Bazin, présidente de PHI Loire-Atlantique.
Du MNU à un circuit structuré et fiable
Quarante ans après la création de PSF, devenu PHI en 2004, l’accès au médicament pour tous reste un enjeu fondamental. Mais pas à n’importe quelles conditions. L’idée de départ selon laquelle les médicaments non utilisés (MNU) en France pouvaient être utiles ailleurs a rapidement montré ses limites. « Les premières fois que je suis allée à Madagascar et que j’ai vu des quantités de médicaments inutilisables parce que mal conservés ou non adaptés aux besoins de la population, et qui finalement devaient être détruits, j’ai compris qu’il fallait changer le système d’approvisionnement », explique Patricia Leroux, bénévole à PHI Anjou et chargée de communication pour PHI. Impulsé par l’initiative de Bamako (1997) sous l’égide de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), un circuit plus vertueux et surtout plus fiable s’est mis en place.
L’idée de départ selon laquelle les médicaments non utilisés (MNU) en France pouvaient être utiles ailleurs a rapidement montré ses limites
Des centrales nationales d’achat de médicaments essentiels et génériques et consommables médicaux, comme les Cameg, sont nées dans des territoires en « stress pharmaceutique ». Elles s’engagent à ce que les médicaments soient disponibles et accessibles géographiquement et financièrement. En France, l’interdiction d’utiliser les MNU comme ressources de médicaments humanitaires est entrée en application en janvier 2009. À la suite de cette décision, une réorganisation complète de la filière des dons de produits de santé s’est imposée et a abouti à la création d’établissements pharmaceutiques dédiés. La gestion de l’un d’entre eux, situé à Nîmes, a été confiée à PHI dès 2008. Geneviève Kinowski en est la pharmacienne responsable : « Notre établissement pharmaceutique (EP) est un distributeur en gros à vocation humanitaire. Les médicaments qui y sont référencés sont neufs. Ils permettent un approvisionnement sécurisé, pérenne et gratuit des centres de soins basés en France, sous réserve qu’ils soient agréés par les ARS pour gérer des médicaments ». L’activité de l’établissement pharmaceutique PHI à destination de la population française est financée intégralement par la CNAM. Depuis 2012, l’EP PHI assure également l’approvisionnement auprès de centres de santé agréés situés à l’étranger. « C’est une activité très minoritaire, pour laquelle nous devons être très prudents. Dans ce cas, l’achat, le transport et les frais de douanes sont à la charge de l’association partenaire ».
Mille raisons de privilégier l’approvisionnement sur place
Dans tous les départements où elle est implantée, l’association PHI s’efforce de mieux faire connaître le circuit du médicament humanitaire. « Alors que les MNU ne sont plus utilisés en humanitaire depuis près de vingt ans, les gens restent surpris lorsqu’on leur explique que les médicaments qu’ils rapportent sont détruits », observe Emmanuelle Genty-Guilbaud, de PHI Deux-Sèvres. D’une part, l’humanitaire n’est pas une solution au gaspillage des médicaments en France. D’autre part, le nouveau circuit du médicament humanitaire offre des garanties en termes de sécurité, de qualité, et d’approvisionnement pérenne et adapté aux besoins. « Il faut privilégier l’approvisionnement en médicaments sur place. Cette démarche participe au fonctionnement de l’économie locale ; c’est plus simple et moins coûteux puisqu’il n’y a pas de frais de transport ni besoin d’autorisation d’importation. D’un point de vue pharmaceutique, les produits achetés sur place sont connus de la population, la notice est compréhensible, les dosages sont adaptés et cela permet de garantir une continuité des traitements, en particulier dans les pathologies chroniques… les arguments ne manquent pas », détaille Geneviève Kinowski. Enfin, dans des pays où la contrefaçon et la falsification sont monnaie courante, il est indispensable de favoriser les filières d’approvisionnement contrôlées.
Du médicament humanitaire à la santé humanitaire
Si la fin des MNU a ébranlé la pharmacie humanitaire, ce changement a aussi apporté un nouveau souffle au mouvement. Après tout, le pharmacien n’est pas qu’un distributeur de médicament : pourquoi ne pas mettre l’ensemble de ses compétences au service des populations qui en ont besoin ? « Certaines associations locales qui avaient beaucoup de bénévoles pour trier les MNU se sont vidées peu à peu ou se sont tournées vers la collecte de matériel médical. D’autres ont saisi l’opportunité d’élargir leurs missions en partant du principe que la santé repose sur un ensemble d’éléments : le médicament mais aussi l’alimentation, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’éducation », explique Alain Berthon.
Notre intervention consiste à partager notre savoir-faire et à soutenir financièrement des initiatives locales qui émanent de la population
Alain Berthon, président de PHI
C’est selon cette logique que PHI Berry a soutenu une opération ambitieuse au début des années 2000 au Mali. Pendant douze ans, l’association a aidé les habitants à concrétiser la construction d’un dispensaire et d’une maternité, à élaborer un programme de planning familial, à réaliser un forage pour un accès en eau potable, mais également à construire une école et une coopérative villageoise gérée par les femmes. « Notre intervention consiste à partager notre savoir-faire et à soutenir financièrement des initiatives locales qui émanent de la population, avec toujours le souci qu’à terme, ce qu’on a créé fonctionne sans nous », insiste Alain Berthon. Autrement dit, une mission humanitaire est une coopération éclairée, consentante, avec un début et une fin. À Madagascar, PHI Anjou a aidé une mission religieuse à créer un hôpital dans une zone éloignée de tout. Inauguré en 2023, il fonctionne désormais en totale autonomie. « Cet hôpital a cinquante lits. Il y a une pharmacie tenue par un dispensateur. Quand nous y allons, c’est pour contrôler le circuit des gaz médicaux que nous avons financés, ou pour superviser des nouvelles actions comme l’installation du logiciel de pharmacie », témoigne Patricia Leroux.
Des professionnels de santé humanitaires
La mutation de la profession en France se ressent dans les missions de PHI. Aujourd’hui, la pharmacie humanitaire s’émancipe de la distribution des produits de santé pour s’engager dans des programmes d’éducation et de prévention ; en humanitaire aussi les pharmaciens revendiquent leur titre de professionnels de santé. « En Afrique, maintenant que l’approvisionnement et la gestion du médicament sont mieux organisés, on est plus utiles pour des soins ou de la prévention », relève Alain Malignon, président de PHI Tarn. En coopération avec le laboratoire Pierre Fabre, l’association tarnaise a élaboré un programme d’aide aux enfants africains atteints d’albinisme : « Le projet consiste à développer des consultations gratuites de dermatologie et d’ophtalmologie, mais aussi de travailler à l’intégration de ces enfants, en expliquant par exemple l’importance de protéger ces gamins contre le soleil ». Et comme en France, le succès de ces actions repose sur des équipes pluridisciplinaires : « pour notre mission au Sénégal au mois de mars, nous étions une équipe de pharmaciens, médecins, infirmiers, opticiens… il y avait même des archéologues ! ».
Dans humanitaire, il y a humain
De leurs nombreuses missions, les pharmaciens PHI gardent en mémoire toutes ces rencontres et ces relations amicales tissées en France et à l’étranger. « Chaque mission est une aventure humaine d’une incroyable richesse. Tous les projets que les associations locales PHI ont monté, avec patience et persévérance, démontrent que tout est possible quand on en a la volonté », témoigne Alain Berthon. Président depuis 2016, son souhait le plus cher serait « qu’un jour, plus personne n’ait besoin de PHI », mais le contexte international en a décidé autrement. Il s’efforce aujourd’hui de transmettre cet héritage solidaire à la nouvelle génération de pharmaciens. Et ça fonctionne. Plus de trente associations locales existent désormais ; depuis 2022, une dizaine de nouvelles structures a été créée ou est en cours de création. « Ce qui me réjouit aujourd’hui, c’est que PHI n’est pas un club de retraités. Des pharmaciens plus jeunes nous ont rejoints, avec un regard différent et des idées nouvelles, mais avec la même conviction que celle qui nous a portés à la création de PHI et qui nous guide encore. »
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