Dialogue

Histoire de la pharmacie et professions pharmaceutiques : une mobilisation nécessaire

Publié le 25/09/2025
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Pour François Locher : « un musée qui ne fait pas bouger ce qu’il présente au public est un musée qui perd une partie de sa forte attractivité  »

Pour François Locher : « un musée qui ne fait pas bouger ce qu’il présente au public est un musée qui perd une partie de sa forte attractivité  »
Crédit photo : Phanie

Trente ans après mon choix personnel de mettre fin à mes responsabilités ordinales en tant que pharmacien hospitalier (« dix ans ça suffit, place aux jeunes » étaient mes slogans de l’époque…) au 4 de l’avenue Ruysdaël en section D puis au Conseil National de l’Ordre des pharmaciens, je constate que par certains côtés ça ne bouge guère. C’est vrai parfois pour des personnes qui s’accrochent à leurs responsabilités ordinales comme une bernique à son rocher (constat déjà vrai à mon époque où certains faisaient quasiment carrière à l’Ordre) mais c’est vrai aussi pour l’interface avec l’histoire professionnelle.
L’occasion m’avait été donnée en 2024, dans le cadre du Diplôme d’Université d’Histoire de la Pharmacie (Université Paris Cité), de visiter avec Camille Jolin, responsable du Patrimoine pharmaceutique, l’espace musée consacré en terre ordinale parisienne à l’histoire de la pharmacie trente ans ou presque après ma dernière visite, à l’époque avec sa conservatrice Dominique Kassel.
Sauf erreur, bien peu de choses ont changé entre ces deux visites. Or un musée qui ne fait pas bouger ce qu’il présente au public est un musée qui perd une partie de sa forte attractivité.
Un musée qui a des réserves qui, probablement, augmentent du fait de dons (peu, voire très peu sollicités alors que des pharmaciens seraient prêts à confier des éléments liés à leur vie professionnelle) mais qui ne les fait pas vivre du fait d’un espace insuffisant est un musée qui perd une partie de son attractivité potentielle.
Un musée géré par une institution au budget non négligeable (de l’ordre de 45 millions d’euros) qui n’a aucune ligne budgétaire spécifique à consacrer au musée pour les acquisitions des collections est un musée qui, à moyen terme, risque de perdre une (bonne) partie de son attractivité.
Un musée dont les responsables institutionnels n’affichent visiblement pas ou peu d’intérêt et pas vraiment de ligne politique en matière muséale est un musée qui risque d’être finalement oublié par tous les professionnels membres de cette institution alors même qu’il s’agit de leur propre histoire.
S’agissant du site internet de l’Ordre des pharmaciens il a bien une rubrique « L’ordre et son histoire » mais pour la période suivant sa naissance en mai 1945 elle se résume en quelques visages accompagnés d’un bref CV qui font référence aux huit anciens présidents et à une ancienne présidente entre 1945 et 2017 ! Une histoire sur plus de 70 ans bien trop brièvement résumée.

On ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire

Auguste Comte

Circonstance atténuante sans doute : bien peu de pharmaciens et donc de conseillères et de conseillers ordinaux ont été sensibilisés à l’histoire de la profession pharmaceutique et plus généralement à l’histoire de la pharmacie, très peu de facultés de pharmacie organisant une formation, même sous forme d’enseignement optionnel, sur ces thèmes. Pourtant on pourrait imaginer que les conseils régionaux de l’ordre des pharmaciens et les composantes universitaires pharmaceutiques travaillent main dans la main sur des projets communs visant à mieux connaître l’histoire pharmaceutique au sein de leur région, par exemple en soutenant des projets de thèse en liaison avec des historiens de la santé, entre autres grâce à l’exploitation des précieuses informations conservées dans les archives municipales, départementales, institutionnelles… Cela permettrait, qui plus est, d’avoir une vision moins « centralisée » et moins uniforme de l’histoire de la pharmacie sur le territoire français en enrichissant l’histoire régionale trop peu développée jusqu’à présent.

« On ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire. » Cette phrase d’Auguste Comte dans les leçons de philosophie positive nous rappelle qu’on gagnerait à mieux intégrer l’histoire des sciences dans la formation initiale et continue des pharmaciens. A contrario faire l’impasse, tant à l’ordre sous le prétexte que gérer un musée lié à l’histoire de la profession n’est pas une mission de l’ordre, que dans les facultés de pharmacie sous le prétexte tout aussi fallacieux de priorités plus importantes dans la formation des pharmaciens, laisse le champ libre à une vision lacunaire, partielle et fausse tant sur l’évolution professionnelle des nombreux types d’exercice possibles pour les futurs diplômés que sur les évolutions que connaissent les produits et industries de santé.
Pour celles et ceux qui seraient tentés de s’interroger sur ce qui se passe à l’étranger y compris dans des pays proches de nous on rappellera :

Qu’il y a bien longtemps que les universités allemandes ont des postes d’enseignants-chercheurs en histoire de la pharmacie ;

Transmettre aux générations futures notre histoire et notre identité

Qu’il y a une trentaine d’années l’ensemble de la profession pharmaceutique portugaise (dans un pays six à sept fois moins peuplé que la France) a su sortir de l’immobilisme et trouver un projet fédérateur autour d’un musée de la pharmacie qui est maintenant considéré comme une référence tant au niveau national qu’international au même titre que les musées de Bâle (Pharmaziemuseum der Universität Basel) et d’Heidelberg (Deutsches Apothekenmuseum -Home).
Peut-être serait-il temps qu’à son tour l’Ordre des pharmaciens et plus généralement l’ensemble des professions pharmaceutiques en France sortent de la léthargie qui semble dominer sur cette problématique pour avoir une véritable politique partagée et une ambition réelle autour de l’histoire de la profession.
Le fait de disposer depuis 1913 d’une Société d’Histoire de la Pharmacie (SHP) et d’une revue de référence, la Revue d’Histoire de la Pharmacie (RHP) et, beaucoup plus récemment, d’une association pour la Sauvegarde du Patrimoine Pharmaceutique (SPP) est un atout indéniable pour la Pharmacie française mais à condition que les générations successives participent tant au développement des travaux sur ces thématiques qu’à la conservation des patrimoines témoins des époques successives. À cet égard on ne peut que se réjouir de la création récente, à la suite du congrès de l’ISHP (International Society for the History of Pharmacy) qui s’est tenu à Belgrade en septembre 2024, d’un groupe de travail « Jeunes SHP » à qui nous souhaitons longue vie.
Comme le rappelle la Fondation du patrimoine, mettre en valeur notre patrimoine et donc notre histoire c’est « Transmettre aux générations futures notre histoire et notre identité ». Ce qui vaut pour nous en tant que citoyens vaut aussi pour nous en tant que professionnels de la pharmacie.

PS : A l’heure où ce point de vue est publié on se doit de souligner la publication en septembre 2025 sous l’égide de l’Ordre national des pharmaciens d’un ouvrage de 80 pages richement illustré « De l’art des remèdes à la science fragments d’histoire pharmaceutique ». Souhaitons que ce soit le début d’une ère nouvelle où l’histoire pharmaceutique est prise en compte de manière plus marquée par l’institution ordinale.

François Locher, pharmacien, Doyen honoraire ISPB-Faculté de Pharmacie de Lyon (Université Claude Bernard Lyon1)

Source : Le Quotidien du Pharmacien