- Réfléchissez, mais pas trop longtemps. Plus nous sommes nombreux, plus nous avons de poids. Les syndicats de patrons ne doivent pas tout décider, s'emporte Emmanuel alors que la pause-café s'achève.
- Tu as certainement raison. On se plaint, on voudrait plus de reconnaissance, et finalement, on ne s'engage pas. Je t'admire pour ce que tu fais, lui répond Christèle, sincère mais indécise.
- Rien que sur les salaires, ils se foutent de nous. La hausse qu'ils nous proposent est loin de correspondre à l'augmentation du coût de la vie…, poursuit le préparateur militant, la main appuyée sur un article du « Quotidien du pharmacien » décrivant une enquête de la FSPF.
- Il est trop craquant quand il parle comme ça…, glisse Christèle à Marion. J'y retourne. Kenza et Nicole vont râler sinon. On a quand même droit à une pause Emmanuel. On est plutôt bien lotis à la pharmacie du marché…
- Il faut voir les choses de façon globale, pas uniquement ce qu'il se passe ici, continue son collègue, intarissable.
Dans la pharmacie, Kenza, la nouvelle pharmacienne, prend ses marques. Elle se sent bien à la Pharmacie du Marché, et épate ses collègues :
- On a l'impression que tu travailles ici depuis des années, lui dit Gisèle alors qu'elle range des médicaments dans le placard des promis.
- Tout est parfaitement bien organisé. Pour un nouveau collaborateur, c'est très facile de s'y retrouver. Et puis, je connais bien ce logiciel, j'avais déjà travaillé avec un robot, donc tout va bien, répond la jeune femme tout en dirigeant son fauteuil roulant vers l'espace de dispensation pour s'occuper d'une patiente qui attend.
- Bonjour Madame, je voudrais… C’est très embarrassant. Je voudrais une pilule du lendemain s'il vous plaît.
- Oui Madame. Il y a deux sortes de contraceptifs d'urgence. Tout dépend à quand remonte le rapport sexuel ?, répond directement la pharmacienne.
- Cette nuit. Oh ! Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi je ne me suis pas raisonnée ?
Alors que Kenza s'apprête à répondre, la femme étouffe un petit cri et vient s'accroupir près du fauteuil de Kenza.
- Madame ? Qu'est-ce que…
- Chut. C'est lui ! Là-bas… Mais qu'est-ce qu'il fout là ? Il ne faut pas qu'il me voit, cachez-moi, chuchote la cliente bouleversée. Bon sang, qu'est-ce qu'il fait là ?
- Il parle avec mon collègue.
- Il en a pour longtemps ?
- Je ne sais pas. Mon collègue l'emmène vers le rayon des…
- Des quoi ?
- Des préservatifs.
- Quoi ?, hurle la cliente.
Dans la pharmacie, toutes les têtes se retournent vers Kenza et sa cliente, qui tente de disparaître derrière le comptoir. Abandonnant Emmanuel, l'homme que la femme fuit s'approche d'elles.
- Tiphaine ?
- Guillaume. Euh… Ça va ?, répond Tiphaine en faisant mine de se recoiffer.
L'homme la regarde, puis tourne la tête vers Kenza et remarque la boîte de lévonorgestrel sur le comptoir.
- Je suis désolé. On n'aurait peut-être pas dû cette nuit, répond-il en triturant sa boîte de préservatifs.
Se sentant de trop, Kenza recule et croise le regard d'Emmanuel ; elle lève les bras au ciel et murmure du bout des lèvres : « J'adore l'officine »
(À suivre…)