Arrivé dès 7 h 30 à la pharmacie, J-C consulte sa boîte mail personnelle. Dans la pharmacie, Maryline passe l'aspirateur. Pour être plus tranquille, il referme la porte et pose son mug rempli de café au lait sur le bureau. Dans la longue liste de courriels, J-C découvre un message de son ami Éric. Sapeur-pompier de métier, Éric est en mission en Ukraine pour aider les pompiers du pays en guerre. Éric et son épouse Muriel sont des amis de longue date de J-C et Delphine. Pourtant, ils ne se sont pas donnés de nouvelles depuis plusieurs mois, les uns et les autres s'étant laissés happer par le quotidien. Surpris, J-C commence à lire le récit du pompier, avec curiosité et une pointe d'appréhension :
« Salut l'ami. J'espère que toi et la famille allez bien. Tu ne le sais peut-être pas, mais je suis parti en mission solidaire en Ukraine. Nous suppléons nos homologues ukrainiens qui sont soit partis combattre, soit épuisés par des incendies et des secours aux victimes incessants. La ville est tantôt un énorme brasier, tantôt un lieu où règne un silence de mort. Hier, alors que nous partions en intervention, des bombardements ont pilonné la voie que nous devions emprunter. Nous avons tout juste eu le temps d'arrêter les camions, et de trouver refuge dans une pharmacie. Tu ne devineras jamais : c'était la Pharmacie du Marché. Je ne sais pas lire l'ukrainien, mais un collègue me l'a traduit. J'ai aussitôt pensé à toi.
À l'intérieur, tout était sens dessus dessous. La pharmacienne nous a fait descendre au sous-sol pour plus de sécurité. Là, des étagères quasiment vides étaient poussées contre les murs. La pharmacienne, Natalia, parlait anglais. Alors que l'armée russe continuait son offensive à l'extérieur, nous avons parlé. C'est plutôt rassurant de parler, pour oublier la peur. Cette femme est juste extraordinaire. Elle continue son métier malgré tout, alors que la plupart des médecins et pharmaciens ont fui la ville. Bien sûr, il n'y a plus de livraisons de médicaments depuis quelques jours. Mais comme elle dit, « je ne suis pas là que pour les médicaments : je suis là aussi pour réconforter, pour adapter certaines posologies afin de tenir plus longtemps avec le peu de médicaments qu'il reste ».
Le plus difficile, m'a-t-elle expliqué, c'est de soulager les enfants. Le paracétamol manque, le lait et les biberons aussi. Elle travaille évidemment étroitement avec la Croix-Rouge, et se rend régulièrement au centre installé dans un autre quartier de la ville. Je lui ai demandé pourquoi elle ne fermait pas complètement sa pharmacie, pour aider à plein temps la Croix-Rouge. Elle m'a répondu qu'il fallait conserver des points d'accueil et de santé partout dans la ville, ne pas tout centraliser. Dans son quartier, il reste encore quelques habitants, des personnes âgées notamment.
Après quelques heures, les bombardements ont cessé. Nous sommes remontés dans la pharmacie aux vitrines murées. Dans la rue, les camions n'avaient pas été touchés. J'ai salué Natalia et je lui ai promis de revenir après la guerre, avec toi peut-être. Parce qu'il faudra tout reconstruire. Ça m'a fait du bien de t'écrire. Je reviens en France en mai. J'espère que nous pourrons nous voir.
Amitiés à toi et à Delphine.
Éric »
(À suivre…)