« Mignonne, allons voir si la rose », écrivait Ronsard à Cassandre Salviati en 1545. Pour lui déclarer son amour, mais aussi pour s’appesantir avec poésie sur le passage du temps. Les pétales flétrissent, la vieillesse arrive et déjà le parfum de la vie s’enfuit.
Cette peur du délitement et de la mort est un leitmotiv des écritures du Moyen Âge et de la Renaissance. La rose est l’emblème de la beauté qu’il est si dur de préserver. Mais alors, les Anciens croyaient-ils en la rose comme un remède potentiel capable de garder la jeunesse, de prendre soin de la peau et de revigorer l’organisme ? On ne parle ici rien de moins que du mythe de l’immortalité. Ce qui nous mène sur la piste fabuleuse de l’ambroisie. Ce nectar des dieux a-t-il vraiment existé et n’était-il qu’un élixir précieux ou bien servait-il aussi de médicament miraculeux aux plus immortels d’entre nous ? Aqueux, huileux, pâteux ou solide, il se buvait, servait d’onguent, se glissait dans les narines ou même jaillissait du sol comme une herbe fraîche. C’est étonnant comme toutes ces caractéristiques contées par Homère dans l’Iliade et l’Odyssée font écho aux différentes formes utiles à la pharmacopée.
Et de surcroît, on apprend que l’ambroisie dégage un parfum merveilleux capable de chasser les odeurs pestilentielles. « Elle s’oint d’une huile grasse, ambrosiaque et suave, dont le parfum était fait pour elle ; quand elle l’agite dans le palais de Zeus au seuil de bronze, la senteur en emplit la terre comme le ciel. » Voici comment Héra attendait son époux, au milieu de vapeurs aphrodisiaques. Ce nectar mystérieux, qui semble s’apparenter à une panacée, prend aussi la forme d’onguent antiseptique et cicatrisant appliqué sur les plaies comme un cataplasme. Au même titre d’ailleurs que le miel et la cire, très prisés dans la pharmacopée grecque.
Le cérat de Galien
Au IIe siècle après J.-C. le médecin grec Galien décrivait le cérat comme un « mélange d’huile d’olive, de cire d’abeille et d’eau ou d’infusés de plantes aromatiques ». C’est un onguent dont on s’oint la peau pour la protéger. Plus tard, la composition de cette crème hydratante de la première heure s’étoffera d’huile d’amande douce, de blanc de baleine, d’eau distillée de rose, d’huile volatile de rose et de teinture de benjoin. Le Codex pharmaceutique et le Dorvault font mention de ces composants en y ajoutant aussi du borax ou de la paraffine.
Le doute s’insinue. Est-ce un simple cosmétique ou une crème aux vertus thérapeutiques. L’eau de rose en tout cas est essentiellement présente pour son arôme mais peut aussi être rattachée à une douceur calmante, apaisante. Les secrets du cérat, qui est peut-être la version non divine de l’ambroisie, sont restés longtemps peu accessibles au grand public. Jusqu’au jour où un pharmacien voulut en savoir un peu plus sur le détail des composants qui constituent les produits à la frontière de la cosmétique et de la pharmacie. Apparemment inoffensifs, le sont-ils vraiment ? Une question que la société actuelle rend visible mais que René Cerbelaud avait déjà soulevée dans les premières années du XXe siècle.
Le pharmacien René Cerbelaud contre les secrets
René Cerbelaud, pharmacien à Guéret, complètement oublié aujourd’hui, est l’auteur d’un Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie dans lequel il souligne l’arrivée massive des produits synthétiques, phénomène nécessitant des changements de formules de la part des chimistes : « Il est plus que jamais indispensable à tous les points de vue de connaître aujourd’hui les formules des spécialités ou tout le moins les doses de leurs principes actifs : car beaucoup sont mises en vente par des gens qui ne sont ni pharmaciens, ni médecins, ni chimistes et qui se sont emparés de certains produits pouvant devenir dangereux entre leurs mains », écrit-il, rappelant que « l’élan et l’ardeur de l’industrie ne connaît plus de limites », s’inquiétant que les produits doivent désormais être réalisés vite pour être rentables. À l’époque, ce propos osé est vu d’un mauvais œil par les industriels. Plusieurs procès lui seront d’ailleurs intentés car le dévoilement des compositions des produits ne plaît apparemment pas à tout le monde. Aux industriels bien sûr, mais aussi aux pharmaciens d’officine qui vendent tous des spécialités de leur cru à cette époque et s’étonnent qu’un de leur confrère puisse dénoncer cette pratique.
Mais Cerbelaud veut mettre fin au monopole des remèdes secrets qui sont aussi confectionnés par beaucoup de non-professionnels et qui ne sont pas officiellement décrits et référencés, y voyant une porte ouverte à l’escroquerie. Ainsi recense-t-il plus de 4 000 recettes en tout genre, de celles qu’on trouvait les plus couramment et dont l’emballage ne spécifiait pas la composition précise. Il s’emploie à décrire cette dernière afin que le public ne soit pas dupé. Cet inventaire le conduit à pointer des produits potentiellement dangereux, comme l’arsenic, le plomb ou le borate de sodium, présents dans certaines formules du cérat de Galien par exemple. Car chaque laboratoire avait son secret de fabrication du cérat, dont le nom à la mode est devenu cold-cream. Et pour éviter les attaques, Cerbelaud avait pris soin de mentionner « formule analogue à ». Il gagnera d’ailleurs tous ses procès et, à peine quelques années plus tard, en 1914, le Vidal intégrera officiellement une première liste de spécialités. Le travail de René Cerbelaud contribua sans doute à éveiller les consciences et à enrichir la pharmacopée officielle.
Le crème Simon, star des cosmétiques
Cette histoire est d’autant plus intéressante que, à la même époque, la cosmétique fait son entrée sur les rayons des officines. En particulier grâce à un certain Joseph Simon, pharmacien à Lyon, qui invente, en 1860, une crème de beauté au succès phénoménal. L’idée lui vient des lavandières qu’il croise au bord du Rhône et qu’il entend se plaindre de leur peau sèche et très irritée. Il mélange alors sept extraits de fleurs et de plantes afin de confectionner une crème capable de les soulager. Première crème à base de glycérine – beaucoup plus stable que la cire d’abeille - qui rend belle mais qui soigne aussi les petites plaies. Le succès est tel que la crème Simon obtient la Médaille d’Or à l’Exposition universelle de 1900 et se voit bientôt vendue dans les grands magasins et les salons de coiffure, de Paris à New York. Le monde de la mode et du spectacle en fait son emblème. Ses propriétés sont chantées par les artistes et les acteurs de cinéma. La crème Simon est partout ! « Vous êtes sans excuses Madame, de confier le satin de votre épiderme délicat à des produits douteux, quand vous avez sous la main la bienfaisante crème Simon », indiquait un slogan publicitaire. Et dans sa composition on y retrouve la rose, fleur à l’aura ininterrompue au fil des siècles depuis les bains antiques à la rose de Damas, très appréciés, paraît-il, par Cléopâtre, jusqu’aux eaux florales bienfaisantes – ou hydrolats - d’aujourd’hui qui apaise la peau et les yeux.
Un des endroits les plus pittoresques et les plus beaux pour sentir le parfum des roses et pour imaginer toutes leurs vertus est la roseraie de l’Abbaye de Chaalis, constituée d’une centaine de variétés de rosiers à l’emplacement de l’ancien potager. Le domaine est aussi exceptionnel par ses fresques de la main du Primatice, l’artiste phare de l’École de Fontainebleau qui travailla pour François Ier, à découvrir dans la chapelle, et par sa ruine monumentale de l’ancienne abbaye. Le mois de juin est évidemment la meilleure période pour y aller.