L’histoire de la pharmacie regorge de remèdes étranges et saugrenus, mais la poudre de momie est sans doute la plus curieuse, voire la plus inquiétante ! Gage d’éternité, de frein au vieillissement, on lui prêta longtemps de multiples vertus. Antibactérienne, désinfectante, anesthésiante, calmante, cicatrisante, hémostatique…
L’évocation même du terme de momie plonge l’imaginaire dans le puits mémoriel de l’histoire, jusqu’en Égypte antique, alors même que le monde de l’égyptologie s’apprête à célébrer les cent ans de la découverte du sarcophage de Toutankhamon, le 4 novembre 1922, et les deux cents ans du déchiffrement de la pierre de Rosette par Champollion, le 27 septembre 1822. Momies et mystères antiques sont donc à l’honneur en cette année 2022 qui, singulière coïncidence de date, vient de révéler au monde la doyenne des momies dans le sol portugais. Osons être superstitieux et écoutons le murmure de ces corps desséchés qui jalonnent – ils sont plus de 300 ! - l’exposition Momies. Les chemins de l’éternité, à l’Hôtel départemental des expositions du Var. Impossible de ne pas se prêter, même rapidement, au jeu des croyances millénaires et des vertus scientifiques attachées à ces majestueux gisants funéraires qui nous parlent de l’outre-monde. À partir du 22 octobre, le Muséum de Toulouse consacre lui aussi une exposition sur les momies sous l’angle des techniques de conservation des corps, des plus ancestrales jusqu’à nos jours, interrogeant des aspects médicaux, anthropologiques et philosophiques.
Panacée
Préservation des corps, visant l’éternité, dont la pharmacopée occidentale s’est emparée dès le XIIIe siècle alors que les savoirs orientaux commençaient à se diffuser vers l’Europe médiévale. Épicier, droguistes et apothicaires développèrent une fascination pour des produits rares venus de contrées lointaines, telles les pierres précieuses ou les feuilles d’encens, auréolées alors de pouvoirs merveilleux pour la santé. Et parmi eux, la Momie. Celle-ci se trouve d’ailleurs en bonne place dans les livres de remèdes appréciés des pharmaciens, dont le plus répandu et le plus célèbre à l’époque était le De Materia Medica de Dioscoride, augmenté de commentaires à la Renaissance, notamment par le médecin et botaniste italien Pietro Andrea Matthioli qui écrit : « Elle est bonne à la migraine, à ceux qui ont la bouche tournée ou le haut mal, aux étourdissements et aux vertiges, mise dans les narines avec de l’eau de marjolaine… » La poudre de momie soulage bon nombre de maux, on en fait une panacée, lucrative pour le commerce, et surtout porteuse d’éternité. Les chirurgiens médiévaux en font bon usage, au même titre qu’Avicenne l’employait pour guérir fractures et éruptions.
Mais si l’histoire est belle, elle semble aussi relativement invraisemblable. Car comment cette poudre de momie a-t-elle pu être récoltée puis exportée ? Prélevée directement sur les dépouilles ? Question à la sonorité sacrilège… Il semblerait plutôt que le terme de Momie chez les pharmaciens recouvre une variété de substances, des matières animales aux restes de cadavres douteux jusqu’à l’asphalte et au bitume, déjà utilisés dans l’Antiquité pour traiter certains ulcères et blessures, mais aussi comme produit cosmétique ou comme désodorisant. Le bitume étant, selon des historiens de la première heure, également employé pour l’embaumement des corps. Reste que la drogue bitumineuse vendue sous le terme de Momie, bien que très prisée pour son aura, n’était pas toujours très recommandable dans son contenu. Ce qui n’empêcha pas le XVIe et le XVIIe siècle de s’en gorger. La reine Catherine de Médicis dépêcha son aumônier en Égypte pour aller chercher la fameuse panacée directement à la source. François Ier conservait toujours sur lui un peu de Momie mélangée à de la rhubarbe pour se protéger des bactéries et remédier à d’éventuelles blessures de guerre, tandis que le grand Paracelse diffusait son Baume du Christ. À Lübeck, un apothicaire avait même exposé dans son officine une momie d’Égypte et son sarcophage !
Illusions cryptiques
Mais voilà ce que dit le sage Ambroise Paré afin de dénoncer un trafic inquiétant de momies, embarquées par bateaux depuis l’Égypte pour fournir une Europe avide du remède miracle : « La momie se fait et se façonne en notre France où l’on dérobe de nuit les corps au gibet, puis on les cure, ôtant le cerveau et les entrailles avant de les faire sécher au four. Après, on les vend pour vraies et bonnes momies et, dit-on, les avoir achetées de marchands portugais et avoir été apportées d’Égypte. Mais qui voudra rechercher, comme je l’ai fait chez les apothicaires, trouvera des membres et portions de corps morts, voire tout entiers, embaumés de poix noire, lesquels sentent une odeur cadavéreuse. » L’histoire est immédiatement moins belle… et l’origine douteuse du produit ne tarde pas à faire grincer des dents. Car pendant longtemps, ce qu’on pensait être de vraies momies n’était que de la poudre de cadavres pestiférés ou desséchés, provenant d’obscures officines égyptiennes qui préparaient ces restes en quantité, trouvés non dans les nécropoles mais sous le sable brûlant, pour les vendre au prix fort en France.
Bientôt, plusieurs savants et apothicaires, tels Jean de Renou, Pomet et Baumé, vont commencer à émettre de vives critiques quant à l’usage de la Momie dans les préparations pharmaceutiques. Ainsi, au XVIIIe siècle, après trois siècles de faste, la Momie perd de son attrait, jusqu’à disparaître au XIXe siècle. La période que l’on vient de décrire va toutefois donner lieu à de nombreux pots à pharmacie où est inscrit le mot « Momie » ou « Mumie » sur leurs flancs. Jusqu’à ce que les progrès de la chimie et de la pharmacie balayent les illusions cryptiques du passé.