Jean-Michel Mrozovski, pharmacien et président d’honneur de la Coopération pour la valorisation de l'acte officinal (CVAO), s’interroge : « Quand on s’appuie sur les retours de la nutrivigilance et que l’on constate la grande disparité des produits contenant de la mélatonine sous forme de compléments alimentaires, il est impossible d’affirmer l’absence de risque de la prise de mélatonine, d’autant moins, comme le rappelle la Haute Autorité de santé (HAS), pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale ou hépatique. » Cette molécule, souvent nommée hormone du sommeil, est la principale molécule de régulation des rythmes chronobiologiques de l’organisme. Elle est secrétée en réponse à la diminution de la lumière et permet au corps, dont un cycle dure environ 25 heures, de se régler sur la période lumineuse. Elle a une activité soporifique liée à son mode d’action, « mais n’est pas un hypnotique. Il est important de rappeler que selon la HAS dans le cadre de son avis du bon usage du Circadin, le délai entre la prise et le coucher doit être de 1 à 2 heures et cela après le repas », explique le pharmacien.
Une importante variabilité interindividuelle
La molécule est classée comme médicament à partir de 2 mg par dose, une classification que l’existence de compléments alimentaires dosés à 1,9 mg interroge. « Pour commencer, la concentration de la mélatonine endogène est très variable selon les individus. On peut donc se demander quel est le dosage efficace d’une complémentation. De plus, à ma connaissance, il n’existe pas d’éléments de pharmacodynamie pour justifier le rapport bénéfice-risque plus favorable d’un dosage de 1,9 mg d’un complément alimentaire contenant de la mélatonine, par rapport à celui d’un médicament dosé à 2 mg réservé à des patients de 55 ans ou plus », souligne Jean-Michel Mrozovski. Par ailleurs « il y a une très forte variabilité interindividuelle de la réponse à cette molécule, pour laquelle il faut éviter les traitements longs, ajoute Marc Sapène, pneumologue spécialisé dans la médecine du sommeil. C’est une hormone, dont la consommation, y compris sous forme de complément alimentaire, devrait être encadrée par un médecin. Par essence, le fonctionnement d’une hormone entraîne une cascade d’effets variés, imprévisibles. »
La forme de complément alimentaire ne dispense pas l’officinal d’expliquer à son patient le bon usage.
Jean-Michel Mrozovski
Ainsi, entre 2009 et 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a enregistré 90 déclarations d’effets indésirables susceptibles d’être liés à une prise de compléments alimentaires contenant de la mélatonine. Si le syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet) souligne que ce chiffre reste faible rapporté au nombre de boîtes vendues en France, qu’il estime à 1,4 million en 2018, l’agence de sécurité alimentaire, elle, invite consommateurs et professionnels de santé à la prudence. L’ANSES recommande donc aux femmes enceintes et allaitantes, aux enfants et aux adolescents, aux personnes souffrant de maladies inflammatoires, auto-immunes, d’épilepsie, d’asthme, de troubles de l’humeur, du comportement ou de la personnalité, ainsi qu’aux personnes suivant un traitement médicamenteux de consulter un médecin avant de consommer ce complément alimentaire ou tout simplement de ne pas le faire du tout. « C’est là tout le rôle du pharmacien, qui doit veiller à apporter une information loyale, claire et appropriée. L’existence de cette molécule sous forme de complément alimentaire, en accès libre donc, ne dispense pas l’officinal d’expliquer à son patient les conditions de bon usage, d’essayer de déterminer s’il y a un mésusage et, le cas échéant, de diriger le patient vers un médecin », conclut Jean-Michel Mrozovski.