Contexte de crise
Dans toute l’Europe, les ruptures de médicaments semblent s’enchaîner et se multiplier. En France, leur signalement a ainsi progressé de 34 % entre 2020 et 2022, conséquence d’une combinaison de facteurs : hausse des demandes sous l’effet d’épidémies concomitantes (Covid-19, grippe, bronchiolite), dépendance aux pays producteurs de principes actifs (notamment la Chine et l’Inde), hausse du prix des matières premières, crise énergétique, coût des transports… Une situation qui porterait l’officine à devoir faire face, en permanence, à une centaine de références manquantes, les ruptures sévissant dans toutes les classes thérapeutiques. Dénicher des stocks, trouver des alternatives quand on ne peut pas substituer, informer les patients prend du temps aux pharmaciens, des équipes qui passent en moyenne 5,1 heures* par semaine à gérer le problème des manquants.
Informer et se tenir informé
Avoir connaissance des tensions d’approvisionnement qui concernent certains médicaments, notamment dits « d’intérêt thérapeutique majeur » (MITM), peut aider à se prémunir face aux ruptures possibles. Outre la liste des tensions et ruptures consultable sur le site de l’ANSM, d’autres outils visent à faciliter la circulation des informations dans cette situation. Le DP-Ruptures, mis en œuvre par l’Ordre des pharmaciens, offre aux officines la possibilité de signaler les ruptures d’approvisionnement aux laboratoires exploitants - et aux autorités sanitaires – qui, en réponse, les tiennent informés des dates de retour prévues et des médicaments alternatifs. La fonctionnalité DDU (demande de dépannage d’urgence), pour sa part, est intégrée aux logiciels métier des officinaux depuis 2021 et concerne les MITM et les produits de niche dont l’interruption est fortement déconseillée. Par ce moyen, le pharmacien sollicite directement le laboratoire exploitant pour assurer la continuité du traitement d’un patient.
Agir
Pour faire face aux problèmes de manquants, l’officine dispose de quelques solutions concrètes : la substitution, bien sûr, quand il s’agit de la même molécule, mais « pour substituer dans la même classe thérapeutique, il faut l’autorisation du prescripteur », rappelle Laëtitia Hible, présidente de l’association Pharma Système Qualité en citant l’article L.5125-23 du CSP. Afin d’éviter à l’officine et au médecin des appels incessants en période de rupture, « mieux vaut demander l’autorisation de substituer une fois pour toutes surtout dans le cas de molécules liées à des pathologies aiguës comme la prednisone (anti-inflammatoire) ou le dextrométhorphane (antitussif) » ; la délivrance à l’unité, qui se cantonne aux antibiotiques, est un autre moyen de contourner le problème des manquants ; l’officine peut également solliciter différents grossistes afin de multiplier ses chances d’honorer l’ordonnance et pourra essayer de contacter directement le laboratoire fournisseur ; le dépannage entre officines, pour sa part, est toujours possible mais « il faut s’assurer d’être livré rapidement avant de se séparer d’un stock qui peut être précieux pour nos patients » ; autre aide à solliciter, les Plans de gestion des pénuries (PGP), mis en place par les entreprises du médicament, présentent notamment des alternatives pour assurer la poursuite du traitement du patient en cas de rupture.
Quelques exemples d'outils dédiés
Si le LGO est un moyen d’alerter sur les ruptures, d’autres solutions numériques vont plus loin pour aider à gérer les manquants. Le LQO (logiciel qualité officinale) est un outil de traçage qui enregistre les appels passés par l’officine au prescripteur et permet de retrouver les informations échangées à partir de différents mots-clefs. Conçu par l’association Pharma Système Qualité, il équipe environ 2 000 pharmacies.
Vigirupture est un réseau et un outil qui permet aux pharmaciens inscrits de localiser les médicaments recherchés dans le stock des confrères et de leur adresser les patients, une solution particulièrement intéressante dans les zones rurales. Certains grossistes répartiteurs ont également développé des outils destinés à leurs clients. La plateforme Link de l’OCP, par exemple, présente deux fonctionnalités dédiées : le panier « À nouveau disponible » informe le pharmacien en temps réel, au moyen d’une notification, qu’un produit commandé mais non reçu pour cause de rupture est de retour dans le stock de son établissement OCP ; dans la rubrique « Actualités produits », le répartiteur propose à l’officine des alternatives aux ruptures fabricants pour chaque classe de médicament manquant en l’orientant vers des spécialités équivalentes disponibles.
Des solutions à venir
Certaines pistes ont récemment été avancées par les ministères de la Santé et de l’Industrie afin de lutter contre les pénuries de médicaments. Une plus forte transparence sur la disponibilité des produits de santé, de la production à la distribution en officine, ainsi qu’un renforcement de l’information des patients directement concernés sont prévus. Un plan de préparation des épidémies hivernales, incluant une sécurisation des stocks, et une amélioration de la mise à disposition des données devraient être effectifs sous peu, accompagnés d’un « plan blanc médicaments » activable en cas de situation exceptionnelle. Le LEEM, pour sa part, plaide pour que soit créé un « connecteur d’information » capable d’assurer, en situation de pénurie, une circulation optimale de l’information entre les différents acteurs de la chaîne du médicament. Une meilleure connaissance de la durée des pénuries pour l’officine, des spécialités en rupture pour le prescripteur, des capacités d’approvisionnement entre producteurs, des stocks existants chez les grossistes permettraient, entre autres, de prévenir les situations de pénurie.
* Enquête du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne, 2022.