Le Quotidien du pharmacien. - Comment l'Ordre s'engage-t-il dans la lutte contre le trafic de rue de médicaments ?
Carine Wolf-Thal. - Il faut distinguer deux niveaux d’action. Sur le plan de la prévention et du signalement tout d’abord, le CNOP* et l’ANSM** ont signé une convention pour encourager et faciliter les signalements de ventes inhabituelles de médicaments dans les pharmacies. Ce dispositif s’adresse plus spécifiquement aux métiers de la distribution en gros et aux industriels, et permet d’identifier des détournements éventuels de médicaments. Cinq substances sont particulièrement surveillées. Lorsqu’un grossiste-répartiteur remarque un volume de commande inhabituel concernant un médicament (par exemple, si une pharmacie commande un important volume de buprénorphine alors qu’elle en commandait peu auparavant), il peut le déclarer via un téléportail dédié et une investigation est ouverte. Le CNOP est également consulté lorsque des mesures restrictives de prescription et de dispensation sont envisagées, comme dernièrement pour la prégabaline. Enfin, le CNOP coopère étroitement avec l’OCLAESP, pour diffuser auprès des pharmacies d’officine les alertes transmises par cet office. Sur le plan de la répression, le CNOP est parfois amené à se porter partie civile devant les tribunaux, dans les situations d’exercice illégal de la pharmacie mettant en cause des non-pharmaciens qui vendent des médicaments. Au sein du CNOP, et plus précisément de la direction de l’exercice professionnel, il existe une cellule en charge des dossiers relatifs à l’exercice illégal de la pharmacie.
Y a-t-il une corrélation entre la circulation des fausses ordonnances et une augmentation des déclarations d'agression ?
La corrélation est difficile à établir. En 2020, seulement 7 déclarations sur 613 sont en lien avec un refus d’ordonnance, sans précision sur le motif du refus. On ne sait donc pas si ces situations correspondent à une falsification d’ordonnance. Au-delà de ces données, il est certain que le fait de refuser de délivrer une ordonnance suspecte est source de grande tension. J’invite les pharmaciens à continuer à déclarer les agressions auprès de l'Ordre, mais également les incivilités dont ils font l’objet car il y a certainement un phénomène de sous-déclaration.
Le dossier pharmaceutique (DP) est une aide pour repérer le nomadisme médical ?
Effectivement, le DP aide au repérage des surconsommations ou des redondances de prescription. C’est un outil conçu dans l’intérêt du patient, pour diminuer le risque de surdosage ou le risque iatrogénique. Pour lutter contre les ordonnances falsifiées et mettre fin à cette pratique, le meilleur moyen serait la e-prescription, c’est-à-dire une dématérialisation de l’ordonnance et une sécurisation par un QR code. Les expérimentations sont en cours, sous la coordination de l’assurance-maladie. La généralisation n’est pas prévue avant 2024.
* Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.
** Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.