Chahinez, 31 ans, était une jeune femme dont l'unique ambition consistait à obtenir le transfert de son fils aîné, né d'un premier mariage, d'Algérie en France. Elle s'y employait avec ardeur, ce qui la rendait pratiquement insensible aux conditions de vie que lui imposait son nouveau compagnon, Mounir. On pourra toujours lui reprocher de ne pas avoir fait le bon choix, mais c'est facile de commenter le sujet en oubliant le partage d'une femme entre deux cultures, celle dont elle a hérité et celle qui semblait lui ouvrir une voie prometteuse. Bref, ce Mounir la battait et elle, docile, uniquement vouée au voyage de son fils en France, subissait les coups sans trop se plaindre : oui, Mounir était méchant, mais, au fond il l'aimait.
C'était un repris de justice et récidiviste de surcroît. Un voyou qui croyait qu'une femme ne pouvait être qu'une esclave, tout juste bonne à subir son autorité de mâle. Quand elle allait en ville avec un œil au beurre noir, elle s'en excusait, comme si elle était coupable. Tout cela n'avait aucune importance : elle allait réunir sa famille. Il est difficile de deviner ce qui se passe dans le cerveau d'un maniaque, mais Mounir devenait de plus en plus brutal, se défoulant sur Chahinez en toute occasion, de sorte qu'elle porta plainte et obtint une séparation. Il fut interdit à Mounir d'approcher Chahinez, ordre fut donné qu'il portât un bracelet électronique, mais, loin d'obéir à la loi, il faisait des incursions, la cherchait, la trouvait, la menaçait et la battait de nouveau.
Brûlée vive
La police, elle, ne parvenait pas à lui mettre le grappin dessus. Un jour, le 4 mai, il apparut à une centaine de mètres de son domicile. Il était armé. Il tira deux fois sur Chahinez, la blessa aux jambes, puis non content de son forfait, il l'arrosa d'essence et elle mourut brûlée vive. Un crime atroce et prémédité. Une honte sans pareille pour une société censée protéger les innocents et les fragiles. Un assassinat qui défie l'horreur des annales, qui a laissé confondues justice et police. L'opinion n'en a pas fait des tonnes, qui s'est vite replongée dans le Covid, la vaccination et l'espoir de vacances meilleures que l'an dernier. Pas fait des tonnes. Elle avait 31 ans, elle aimait son fils resté en Algérie, elle était prête aux injures et aux coups pourvu qu'on la laissât accomplir son fragile dessein.
Franchement, on ne s'intéresse pas aux contours de l'affaire. On ne veut pas savoir si Mounir, qui venait d'obtenir une remise de peine de prison, méritait d'être en liberté, si la justice avait la possibilité de l'empêcher de nuire, si la police aurait dû s'inquiéter de ce qu'il se promenât en ville sans bracelet électronique. L'horreur du drame dépasse l'entendement et surtout les jugements. Mounir dit aux enquêteurs qu'il ne voulait pas tuer Chahinez, il voulait seulement lui donner une leçon et lui infliger quelques brûlures juste pour qu'elle se souvînt qu'elle lui appartenait. Certes, il sera condamné à la perpétuité, mais peut-être ne changera-t-il pas d'avis, peut-être pense-t-il qu'une société laïque ne comprend pas qu'une femme n'a aucun droit par rapport à son homme.
Il faudrait donc en conclure que nous avons assisté là à une tragédie antique, au terme de laquelle seule la fatalité pourrait expliquer qu'un être humain se conduise avec une telle bestialité, avec une telle lâcheté, en oubliant qu'il a des comptes à rendre, en exerçant avec toute la sauvagerie possible le pouvoir mâle qu'il incarne, même s'il doit en payer le prix jusqu'à la fin de ses jours. Chahinez, fleur innocente, plus mère qu'amante, qui est morte d'avoir cru en l'ultime bonté de la justice, à l'État de droit, au féminisme français, au meilleur plutôt qu'au pire, à la loi. Qu'on me permette, au-delà de toutes les horreurs du monde, de lui rendre ici l'hommage qu'elle mérite.