L’activité est relativement calme à la Pharmacie du Marché. Pendant deux semaines, l’équipe est réduite du fait des congés des uns et des autres. Au comptoir, Karine s’occupe de Monsieur André. C'est la troisième fois qu'il vient en deux jours. La pharmacienne se rend compte que le patient n'est pas dans son état normal.
- Monsieur André, que puis-je pour vous aujourd'hui ?
Le septuagénaire tend son ordonnance à Karine, et marmonne :
- Je viens chercher mes médicaments. Que voulez-vous faire d'autre dans une pharmacie ?
La pharmacienne ne répond pas et saisit le papier :
- Il me semble…, commence à expliquer Karine tout en regardant l'historique du patient. Il me semble que vous êtes venu hier déjà. Oui, effectivement, ce n'est pas encore le moment de renouveler l'ordonnance Monsieur André. Vous avez eu tous les médicaments hier.
- Ah bon ?
Sans un mot, l'homme se retourne et commence à partir.
- Monsieur André, l'interpelle Karine avant de le rejoindre. Monsieur André, venez, nous allons discuter. Au fait, quel jour sommes-nous Monsieur ?
- Dimanche. Ma femme fait le pot-au-feu le dimanche.
- Justement, comment va votre femme ? Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vue. Il faudra qu'elle vienne nous voir, ajoute la pharmacienne, de plus en plus inquiète sur l'état de santé de son patient.
Au cours de la matinée, Karine cherche à savoir qui a servi Monsieur André la veille.
- C'est moi, dit Emmanuel.
- Rien d'anormal ?
- Il a été désagréable comme souvent. Il m'a soutenu qu'on lui donnait habituellement le princeps de bisoprolol, alors qu'après vérification, on lui a toujours délivré le générique. Il est parti en ronchonnant. De toute façon, il n'en avait pas besoin. On lui a délivré une boîte de 90 le mois dernier.
- Merci Emmanuel, répond la titulaire d'un air pensif.
- Quelque chose ne va pas ? C'est pour son bisoprolol qu'il est revenu ce matin ?
- J'ai l'impression qu'il présente des troubles cognitifs.
- Il est traité avec du Tanakan mais il se peut que son état mental se détériore…, remarque le préparateur.
Karine décide d'appeler le médecin traitant de Monsieur André, le Dr Breton qu'elle connaît très bien. Ils entretiennent une relation amicale depuis l'université et le hasard a voulu qu'ils exercent dans la même ville, l'un comme pharmacien, l'autre comme médecin.
- Fred ? Salut c'est Karine. Je viens de discuter avec Monsieur André. Tu es toujours son médecin ? J'ai l'impression qu'il perd un peu la tête. Il vient tous les jours, il ne se souvient pas qu'on lui a délivré ses médicaments. Et il ne sait pas quel jour nous sommes…
- Il n'est pas facile ! Je ne l'ai pas vu depuis plus d’un mois. La dernière fois, sa femme est venue seule. Je pense qu'elle est dans le déni. Ou peut-être qu'elle aussi est un peu désorientée. Elle a dix ans de plus que lui.
- Qu'est-ce qu'on peut faire ?
- Je vais consulter ma consœur de la plateforme territoriale d'appui. C'est une gériatre. Elle va certainement proposer qu'une infirmière spécialisée passe faire un bilan, à leur domicile. Je vais également avertir leur fils de la situation. Il habite à l'étranger et ne les voit pas souvent. Merci de m'avoir prévenu.
(À suivre…)