- Maman, tu peux me donner mon casque s'il te plaît ?, demande Joseph tandis que Mathieu, son père, est occupé à ranger la valise dans le coffre au-dessus de leur tête.
Karine farfouille dans son sac à dos. Elle en sort le dernier numéro du « Quotidien du pharmacien » qu'elle s'est promis de feuilleter dans l'avion avant de décrocher pendant dix jours.
- Excusez-moi Monsieur, dit-elle à l'homme qui attend que la pharmacienne range ses affaires pour s'asseoir.
- Pas de problème. J'ai 8 heures devant moi à ne rien faire. Aurais-je le plaisir de faire ce voyage avec une pharmacienne ? Pardon, un pharmacien. Il paraît que la pharmacienne est la femme du pharmacien, plaisante le sexagénaire.
- Effectivement, je suis pharmacienne. Mais en vacances ! Moi ça ne me dérange plus de féminiser ma profession. Après tout, nous sommes en 2023, et en plus nous sommes majoritaires, répond Karine tout sourire.
- Et moi, je suis médecin retraité depuis deux mois. Et heureux, si vous saviez…
- J'imagine…
Les deux voisins de siège commencent à discuter de la médecine et de l'état du système de santé français.
- Moi vous savez, je ne suis pas comme certains de mes confrères. Des vieux cons. Il faut admettre que nous ne pouvons plus fournir partout, alors autant déléguer aux pharmaciens et aux infirmiers. Je prône cela depuis des années. Vous savez de quoi ont peur les médecins qui râlent ? C'est de perdre de l'argent. Du moins, c'est ce que je pense…
- Vaccination, prescription de certains médicaments, modification de la posologie, ça ne vous dérange pas que le pharmacien intervienne ?, poursuit Karine, ravie d'être assise à côté d'un homme aussi intéressant.
- Ce qui m'importe, c'est le patient. Et que je sache quel vaccin il a reçu, quelle dose il prend, etc. C'est la communication entre nous qu'il faut renforcer. En fait, la prescription à tout-va a conduit le médecin à se prendre pour le chef des professionnels de santé. Et vous peut-être, sans vous vexer, vous vous êtes un peu retranché derrière la distribution de boîtes, parce que c'était confortable et bien payé, hein ?
- Vous avez raison. Les pharmaciens tiroirs-caisses ont fait du tort à la profession. Et on en paye, à mon avis, encore les conséquences.
- Quand je vois comment le métier de pharmacien d'officine a évolué ces dernières années, je me dis que si c'était à refaire, je choisirais peut-être cette voie. J'ai toujours aimé la pharmacologie et la galénique…
- Ah oui ? En fait, vous êtes un pharmacien refoulé, rit Karine.
L'homme s'esclaffe :
- Peut-être. D'un autre côté, je ne regrette pas d'avoir été généraliste. J'ai aimé ce que j'ai fait, même si, au fil des années, la surcharge administrative me rendait fou.
- Ne m'en parlez pas. Plus on tente de simplifier, plus ça devient compliqué. Heureusement, je suis associée, alors on se partage les tâches.
Côté hublot, Joseph dit à son père :
- Comme d'habitude, maman parle de pharmacie. Elle ne peut pas s'en passer, même en vacances.
- On ne la refera pas, elle est passionnée. C'est plutôt une qualité.
(À suivre…)