Il répète à l'envi la phrase d'Einstein : « Si les abeilles venaient à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quatre années devant elle. » Est-ce cette conviction qui a amené Jacques Allain, pharmacien à Bréhal (Manche), à l'apiculture, « à se bouger les fesses ? Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes y viennent, cela devient à la mode, mais il y avait peu de gens, il y a trente-cinq ans ».
C'est un copain qui a fait découvrir le monde des abeilles à ce confrère. Aujourd'hui, il possède une centaine de ruches, réparties sur une dizaine de terrains, dont trois lui appartiennent. Des prairies mellifères, où on trouve des trèfles, des fleurs. « En Manche, on fait du miel toutes fleurs, si on ne fait pas de transhumance : il n'y a pas de grandes exploitations agricoles. »
En zone côtière, explique Jacques Allain, on ne met pas les ruches dans les champs de salades, on recherche plutôt des bordures de forêt.
Rigueur et hygiène
L'apiculture impose des règles d'hygiène très strictes. Le confrère connaît un apiculteur, pourtant professionnel, avec trois cents ou quatre cents ruches, « qui fait n'importe quoi ». Certains apiculteurs ne font pas les traitements nécessaires, ne sont pas assez vigilants et ne se tournent pas non plus vers un technicien. « Il existe des syndicats départementaux d'apiculteurs, des mouvements de défense sanitaire, mais on n'est pas obligé d'y adhérer, regrette-t-il. Le gouvernement fait la valse-hésitation sur les produits nocifs ; heureusement, les jeunes agriculteurs sont mieux formés, ils font plus attention. »
« C'est sans doute ma formation de pharmacien qui m'a amené à être très rigoureux sur l'hygiène. À la pharmacie, on ne mélange pas les lits médicalisés sales avec les propres. En apiculture, il faut la même rigueur pour les hausses, les cadres, les tenues. » Jacques Allain a empêché un jour un ami de l'accompagner aux ruches avec une tunique souillée. Ses hausses, par exemple, sont nettoyées, congelées, stockées au sec, la vareuse lavée, comme les gants. « Le principal problème, c'est l'apiculteur. » Quand, ces dernières années, la mortalité nationale moyenne des ruches était de l'ordre de 25 %, les siennes n'ont perdu que 8 % à 10 % d'abeilles.
Circuit court
Jacques Allain est fils d'agriculteur, en élevage laitier. Il a appris qu'une vache bien soignée peut être prise à la corde, et menée n'importe où. « Mais une abeille, c'est du vent, c'est du vivant. On ne gère pas du vivant, la météo décide de tout. » Cette année, la météo a été catastrophique : l'hiver trop doux, les mois de printemps et d'été trop humides, les reines pondaient en hiver, les fleurs ne sont pas venues : les abeilles mangeront vite leurs réserves, et les apiculteurs devront compléter avec du sucre.
Le confrère produit 2,5 tonnes de miel, 5 000 pots dans sa miellerie, tous vendus à l'officine. Bréhal compte 4 000 habitants ; le plus souvent, tout est vendu à Noël, les récoltes de printemps, de juillet et de fin août. « Les gens me font confiance, ils savent que je n'ai pas besoin du miel pour vivre ; je pratique du circuit court, pas du miel d'Espagne provenant de Chine ! »
À la fin de l'année, le confrère arrêtera, à 60 ans, l'officine, « dont il a fait le tour. L'apiculture est ma passion, je vais doubler le nombre de mes ruches, faire de la transhumance, emporter ailleurs des ruches pour d'autres sortes de miel. Je pourrai aussi prendre des vacances ! ». Le pharmacien apiculteur veut aussi organiser des visites pour les écoles, « initier les jeunes au monde des abeilles ». Leur apprendre à se bouger, avant qu'il ne soit trop tard.