Dans la vie du Dr Pierluciano Pucci, il y a un avant et un après. L’avant, c’était il y a deux ans, en février 2020. Et puis, le premier cas de contamination de coronavirus a été détecté. Et en quelques semaines à peine, tout a basculé pour ce pharmacien qui a racheté il y a vingt ans une officine ouverte jour et nuit et située à proximité du Colisée. Aujourd’hui, l’heure est au premier bilan, plutôt en demi-teinte. Au chapitre finances, la vie n’est plus un long fleuve tranquille. Mais en revanche, les bouleversements introduits dans la profession par la pandémie, ont permis de comprendre que les officines font partie des rouages essentiels du système sanitaire italien, les pharmaciens ont payé le prix fort. Un tournant essentiel pour l’ensemble de la profession qui se sent revalorisée mais qui va pousser les pharmaciens à ne plus exercer leur métier comme auparavant assure le Dr Pucci.
Réservations, dépistages et vaccination
« L’État a compris que le service de santé était insuffisant et il nous a délégué une partie des services comme par exemple, les réservations, les dépistages, la vaccination. » Revenir en arrière sera impossible estime ce professionnel de santé car après avoir réussi à démontrer leur capacité de mobilisation et d’intervention, les pharmacies joueront un rôle de plus en plus important au titre de réseau de proximité notamment dans les zones rurales. « Je pense par exemple à la prochaine campagne de vaccination contre la grippe à laquelle nous pourrons participer comme le font nos confrères en France par exemple. » Pour l’heure toutefois, l’objectif de ce pharmacien est de réussir à retrouver, comme le secteur de la restauration, son niveau pré-Covid. Ce qui n’est pas gagné : « nous dépendons du contexte sanitaire et nous sommes encore indispensables puisque la pandémie n’est pas terminée, nous serons probablement le dernier navire qui réussira à rentrer dans le port. »
Insérées dans la liste des activités essentielles à la veille du premier confinement en mars 2020, les officines n’ont jamais baissé leurs rideaux de fer. Mais l’interruption brutale des flux touristiques et l’introduction du télétravail qui a modifié en profondeur les habitudes des Italiens et entraîné une baisse importante du taux de fréquentation, a mis les pharmaciens à dure épreuve. D’abord, il leur a fallu redistribuer les espaces pour respecter la distanciation. Puis, réorienter les ventes, certains secteurs comme les produits cosmétiques par exemple, ayant pris un sérieux coup. « On se maquille beaucoup moins à cause du masque, avec la crise par ailleurs, les cosmétiques sont devenus un luxe pour une tranche de la population qui a perdu une partie de son pouvoir d’achat, les touristes achetaient aussi beaucoup de produits cosmétiques » note le Dr Pucci. En revanche, le marché des compléments alimentaires s’est renforcé, comme notamment celui des vitamines qui ont le vent en poupe assure ce pharmacien. Pour compenser leurs pertes, certaines officines ont développé les tests de dépistage et se sont aussi lancé dans la vaccination.
Un passage au numérique à marche forcée
Toutefois, si la pandémie a modifié en profondeur le rôle des pharmaciens et leur façon de travailler, force est de constater que la situation avait déjà commencé à bouger il y a quelques années lorsque les officines ont été confrontées à une série d’évolutions majeures notamment au niveau informatique. « Avant la pandémie déjà, tout était devenu nettement plus compliqué. D’un côté, la profession a dû apprendre à être très présente sur les outils numériques qui ont impacté le volume de nos tâches administratives, de l’autre, la clientèle est devenue beaucoup plus exigeante dans les grandes villes et il faut être patient. » Avec l’introduction des super officines qui permettent aux pharmaciens de proposer des réservations par exemple, ces professionnels de santé ont dû accélérer leur passage au numérique.
« Les ASL (agences régionales de la sécurité sociale italienne), se sont engagées dans l’informatisation, toutes les officines collaborant avec ces agences, nous avons dû revoir notre système informatique », détaille le Dr Pucci. Cela s’est traduit par le recrutement de personnel spécialisé. D’abord, un informaticien à plein temps pour contrôler ponctuellement l’état du réseau, intervenir rapidement en cas de panne ou modifier un programme. Puis, une secrétaire pour gérer la partie administrative au quotidien. « Les normes sur la protection des données sont ponctuellement mises à jour, nous devons respecter les dispositifs lorsque nous inscrivons les renseignements personnels du patient qui effectuent des tests ou se font vacciner par exemple pour télécharger ensuite leur passe sanitaire, cela fait beaucoup de paperasserie ! » explique ce professionnel de santé.
Ce renforcement des effectifs a impacté les dépenses que les pharmaciens n’arrivent pas toujours à compenser car réussir à augmenter le volume d’affaires en période de crise n’est pas une mince affaire. Autre problème : les prescriptions dématérialisées devenues monnaie courante avec la pandémie pour désengorger les cabinets des praticiens. « La plupart des patients ont leurs ordonnances sur leur téléphone portable, cela peut sembler anodin mais ce système implique une énorme perte de temps, nous devons d’abord nous connecter sur le site de la région, trouver l’ordonnance avec le numéro indiqué par le médecin, l’imprimer et servir le client qui s’énerve parce qu’il trouve que nous ne sommes pas suffisamment rapides ! » explique le Dr Pucci. Avec le passage au numérique, les pharmaciens ont également découvert le problème des cyberattaques. « Les sites de plusieurs pharmacies ont été piratés, les titulaires ont reçu des messages leur indiquant qu’ils devaient payer une rançon pour éviter le blocage de leur système opérationnel, nous aussi avons été victimes d’une tentative de piratage. »
Alors que le gouvernement prépare le pays à sortir de la pandémie en assouplissant les restrictions, mais au compte-gouttes pour éviter de retomber dans un scénario catastrophe, les pharmaciens réfléchissent à l’avenir. Pour le Dr Pucci, la profession va devoir se préparer à affronter les prochains défis. « Pour offrir une bonne qualité de services et de soins aux patients et éviter les risques, il va falloir améliorer nos compétences, je pense par exemple à la vaccination, il faut savoir comment intervenir en cas de réaction secondaire, il va falloir nous adapter aux nouvelles situations car nous n’aurons probablement pas le choix. »
S’adapter ou augmenter ultérieurement les coûts en recrutant du personnel spécialisé, « nous avons des responsabilités mais aussi des limites, il va falloir choisir, le véritable enjeu sera de ne pas dénaturer le concept des officines qui ne doivent pas perdre leur identité ».