Détournement de médicaments amaigrissants, utilisation abusive de botox ou de produits de comblement, etc. Ces dernières années, des pratiques de beauté inadaptées et très invasives ont fait parler d’elles. Et d’autres modes moins extrêmes mais moins relayées se répandent aussi, suscitant des désagréments moins sérieux mais qui amènent de plus en plus d’individus vers les pharmacies : des officinaux signalent ainsi être souvent confrontés à des effets indésirables de diverses pratiques d’embellissement des phanères. À commencer par les ongles. « De plus en plus de patientes se présentent avec des mycoses couvrant plus des deux tiers des ongles », rapporte Felicia Ferrera-Bibas, pharmacienne titulaire à Allauch (PACA) et vice-présidente officine de la Société française de Pharmacie clinique, qui entrevoit une conséquence des « capsules » d’extension.
Extensions d’ongles et traumatismes
Et pour cause : le procédé de pose se révèle traumatique. « Souvent, la tablette de l’ongle est poncée, puis un produit liquide appliqué sur l’ongle polymérisé - ce qui peut décoller ou abîmer l’ongle », détaille le Dr Ines Zaraa, dermatologue membre de la Société française de dermatologie et spécialiste de l’ongle à l’hôpital Saint-Joseph (Paris). Et d’autres pratiques de manucure s’ajoutent à ces agressions. En particulier, « repousser les cuticules abime aussi la matrice de l’ongle », affirme le Dr Zaraa alors que cette pratique a le vent en poupe dans le cadre des « manucures russes ».
De plus en plus de patientes se présentent avec des mycoses couvrant plus des deux tiers des ongles
Felicia Ferrera-Bibas, titulaire à Allauch
Or « ces effractions de la tablette de l’ongle facilitent l’entrée d’agents infectieux fongiques, bactériens ou viraux », explique la dermatologue – qui rappelle l’existence de « virus HPV potentiellement oncogènes » capables d’infecter les ongles. D’autant que le matériel de manucure peut s’avérer mal stérilisé. En outre, détaille Delphine Lienhardt, pharmacienne titulaire à Lutzelhouse (Grand-Est) « un espace demeure toujours entre la matrice de l’ongle naturel et la capsule, favorisant la prolifération (microbienne) ». Même risque avec les pratiques de trempage préalable des doigts visant à ramollir les cuticules. Des infections peuvent évoluer à bas bruit, croître sous les extensions et vernis « sans que cela se voie », observe Felicia Ferrera-Bibas. Certaines personnes utiliseraient justement ces capsules pour cacher des ongles infectés.
Faux cils et inflammation
Et les affections des ongles ne sont pas les seuls effets délétères liés au maquillage des phanères auxquels les pharmaciens sont confrontés. « Les faux cils posent aussi problème », juge Delphine Lienhardt. « On voit principalement des blépharites liées au port de faux cils », confirme le Dr Sophia Vincent, ophtalmologue cheffe d’un centre Point Vision à Chalon-sur-Saône (Bourgogne). D’autant que les extensions de cils peuvent s’accompagner d’autres pratiques de beauté des yeux inappropriées. « Le maquillage de la muqueuse peut boucher les glandes de Meibomius et provoquer une sécheresse oculaire », indique le Dr Sophia Vincent. Parfois, ces effets indésirables vont plus loin. « Jusqu’au chalazion, et on reçoit des patientes atteintes de conjonctivite ou de kératite », déplore-t-elle.
Certes, le plus souvent, ces troubles restent de nature inflammatoire (liés au frottement des extensions de cils) ou allergique (dus à des constituants de la colle à extensions ou au maquillage associé). Mais « certaines conjonctivites peuvent être bactériennes ou virales, en cas de mauvaises pratiques d’hygiènes, d’un usage combiné et inapproprié de lentilles de contact, etc... », avertit l’ophtalmologue.
Autres phanères ciblés par des pratiques esthétiques pas si anodines : les cheveux – qui préoccupent de plus en plus le public, relève le Dr Catherine de Goursac, médecin esthétique à Paris et membre du conseil d’administration de l’Association française de médecine esthétique (AFME). D’où une prolifération de nouveaux produits et recettes de coiffure.
Irritations du cuir chevelu
Parmi les pratiques susceptibles d’amener des plaintes au comptoir, les lissages, régulièrement pointés du doigt, sont accusés « d’altérer la structure des cheveux et d’utiliser des produits irritants, cancérigènes, etc. », précise Delphine Lienhardt. Ainsi, cet automne, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) diffusait une alerte concernant « des produits à base d'acide glyoxylique ».
La surconsommation de conditionners, sprays, gels, huiles, etc est également à surveiller. « Populaires sur les réseaux, ces produits peuvent favoriser des folliculites : de nombreux jeunes se présentent pour des problèmes de pellicules », remarque Delphine Lienhardt. Certains produits non destinés aux cheveux se voient détournés et utilisés comme des soins capillaires, à l’instar d’eaux micellaires ou de crèmes hydratantes pour le visage.
Face à ce type de situation, l’objectif à l’officine est de bien identifier le problème, et, si besoin, d’orienter vers une prise en charge adaptée. Ce qui peut occasionner des difficultés singulières. Concernant les atteintes des ongles, le risque est de suspecter trop vite une infection. « Trop de pharmaciens pensent à une infection fongique devant tout ongle vaguement décollé ou jauni, or on ne peut jamais poser le diagnostic uniquement après un examen clinique », selon le Dr Zaraa.
Cela étant dit, certains symptômes peuvent mettre la puce à l’oreille. « Si un ongle décollé juste après une manucure évoque une atteinte mécanique, une repousse anormale après plusieurs semaines, ou un ongle rouge, inflammatoire, avec changement de la sensibilité du doigt doivent orienter vers une consultation médicale. » En outre, l’étendue des lésions peut alerter. « En cas d’atteinte multiple des orteils ou doigts, il faut passer par la case médicale », conseille Brice Autier, pharmacien MCU-PH de parasitologie-mycologie au CHU et à la faculté de Pharmacie de Rennes.
Des urgences ophtalmo à ne pas rater
Se pose aussi la question de proposer ou non au comptoir un traitement probabiliste. Aux yeux du Dr Zaraa, « pas de traitement probabiliste avant d’avoir réalisé un prélèvement ». « Si la documentation mycologique est toujours recommandée, en particulier en cas d’onychomycose, elle est même indispensable pour des lésions sévères, étendues, chez des patients immunodéprimés, ou en cas d’échec thérapeutique préalable » - qui peut faire suspecter un diagnostic moins commun (psoriasis, infection à moisissure), détaille Brice Autier.
Concernant les atteintes des yeux, l’enjeu est de ne pas rater les urgences. « Face à une paupière gonflée, à un œil rouge, douloureux, qui brûle, ou, pire, en cas de baisse d’acuité visuelle, il faut orienter vers un ophtalmologue », incite le Dr Vincent. Au contraire, « pour un œil qui gratte, pique ou brûle vaguement, une consultation avec un généraliste peut suffire », de même que quelques réflexes d’hygiène : rincer l’œil au sérum physiologique, éviter de frotter les yeux, retirer les lentilles de contact.
En cas d’atteintes des cheveux, le risque est de minimiser la plainte. D’après le Dr de Goursac, « il faut un bilan biologique afin de s’assurer d’une absence de carence (en zinc, fer, iode, etc.) ou de troubles hormonaux (ovaires polykystiques, dysthyroïdies, etc.) ». Et un prurit, des démangeaisons, des squames – également inter-sourciliers ou au niveau des sillons naso-géniens –, doivent faire évoquer une dermite séborrhéique « fréquente mais à ne pas prendre à la légère car à l’origine de pertes de cheveux importantes ».
En fait, en prévention de toutes ces affections, des précautions d’hygiène peuvent être décrites à l’officine. Concernant les soins des ongles, « il faut éviter de repousser les cuticules, limer ou couper les ongles avec une pince et non des ciseaux ou un coupe-ongle, ne pas limer la surface de l’ongle, ne pas porter de vernis plus de cinq jours, porter des gants imperméables lors des travaux ménagers », énumère le Dr Zaraa. Les adeptes des faux cils et du maquillage des yeux doivent « se nettoyer quotidiennement les paupières et les cils à l’aide de démaquillant testé au niveau ophtalmologique, et éviter de maquiller le bord interne de leur paupière », insiste le Dr Vincent.
Do it yourself, nature et tradition
Par ailleurs, alors que les réseaux sociaux promeuvent les recettes de beauté « maison », le do it yourself est à déconseiller. « Les mycoses des ongles graves que je reçois au comptoir surviennent surtout chez des jeunes filles qui posent elles-mêmes leurs capsules », relève Félicia Ferrera-Bibas. L’attrait pour la tradition et à la naturalité n’aide pas. « Certaines patientes essaient d’abord des recettes de grand-mère comme tremper leur doigt dans le vinaigre pendant plusieurs semaines avant de se décider à en parler. »
Au total, certaines pratiques d’embellissement des phanères semblent pourvoyeuses de troubles qui conduisent à solliciter les pharmaciens. L’enjeu au comptoir est de bien cerner le problème. Et alors que la vente de cosmétiques compte parmi les activités pharmaceutiques, il convient de ne référencer que des produits connus, hypoallergéniques, testés sous contrôle dermatologique, et de ne pas entretenir la confusion entre beauté, bien-être et santé recherchée par certaines industries et entretenue par les influenceurs sur les réseaux sociaux.
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