L’épidémie fait toujours rage. Le 1er décembre s’est une nouvelle fois tenue la Journée mondiale de lutte contre le sida. En ligne de mire, l’objectif d’éradication de l’épidémie d’ici 2030. Si tout un arsenal a été développé au cours des années, une arme majeure manque toujours à l’appel. Les molécules antirétrovirales sont légion, mais aucune des nombreuses tentatives de développement d’un vaccin n’a abouti. Comment expliquer ces échecs ? Comment expliquer que les efforts mondiaux de la recherche médicale aient produit un vaccin contre le Sars-CoV-2 en quelques mois, mais aient été incapables d’aboutir à un vaccin efficace contre le VIH en 40 ans ? Eh bien d’abord parce que contrairement au Covid, aucune guérison spontanée du sida n’a jamais été documentée. En conséquence, « nous ne savons pas ce qu’il faudrait reproduire pour protéger efficacement un individu, explique le Pr Jean-Michel Molina, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis, puisque nous ne savons pas, tout simplement, ce qui protégerait quelqu’un du virus du sida ».
La piste prometteuse des anticorps neutralisants
Des pistes sont cependant à l’étude. Des travaux récents ont mis en évidence des anticorps neutralisants qui représentent aujourd’hui une piste prometteuse. Toutefois, ces anticorps ne ciblent pas une fraction suffisamment importante du large spectre de souches du VIH, n’offrant, de fait, pas une immunité suffisante. C’est une spécificité du VIH. Une très grande variabilité génétique liée à « une vitesse de mutation incomparablement supérieure aux coronavirus », commente Fabien Sordet, directeur médical du laboratoire MSD, qui contribue depuis 30 ans à la recherche contre le VIH. Certains éléments constitutifs du pathogène ne changent pas, mais ceux-ci sont recouverts par un nuage de sucre, ce qui le rend invisible à nos défenses. « Impossible, donc, de générer une réponse immunitaire. Ce virus est comme un fantôme » résume Fabien Sordet. Pas de solution miracle du côté des récentes technologies de vaccins à ADN et ARNm qui autorisent certes « le développement hâtif d’un vaccin, éclaire le Pr Molina, mais ne change pas la donne pour autant. La difficulté reste la même, nous n’arrivons pas à induire des anticorps neutralisants ayant une capacité d’action qui protégerait convenablement le patient ».
Sa très grande variabilité génétique, liée à une vitesse de mutation incomparablement supérieure aux coronavirus, est l’une des spécificités du VIH
Fabien Sordet, directeur médical du laboratoire MSD
Pas de vaccin à l’horizon, donc, mais des traitements antirétroviraux de plus en plus performants. En 2022, le lénacapavir était approuvé de chaque côté de l’Atlantique. Cet antirétroviral développé par le laboratoire Gilead interférant à plusieurs étapes du cycle de vie du VIH en se fixant sur la capside, offre en prévention une protection de haute efficacité. Les résultats de l’étude présentée à l’occasion de la Conférence internationale sur le VIH/sida à Munich en juillet 2024 avaient fait sensation : aucune infection dans le groupe l’ayant testé. Commercialisée en France depuis 2022 sous le nom de sunlenca et utilisée pour traiter les adultes en échec thérapeutique, infectés par une souche multirésistante, cette molécule ne nécessite que deux injections par an. Dès lors, se pose la question de la pertinence d’un vaccin. Face à un traitement semestriel, est-il encore pertinent d’investir des ressources considérables, en temps comme en argent, dans la recherche d’un vaccin, que quatre décennies de recherche n’ont pas su mettre au point ? La réponse est consensuelle : un vaccin dépasserait deux limites du lénacapavir.
Durée de vie supérieure et observance facilitée
D’une part une durée de vie supérieure à un semestre, une limite des antirétroviraux qui sera difficilement repoussée, et d’autre part une accessibilité accrue, une observance facilitée. « Les antirétroviraux placent la barre haut, mais il sera impossible de fournir tous les individus concernés du monde deux fois par an, alors qu’un vaccin efficace 3 voire 5 ans est une perspective réaliste » estime Fabien Sordet. En outre, les traitements antirétroviraux peuvent être mal tolérés par certains patients et d’autres « leur préféreront tout simplement un vaccin, c’est important d’avoir des alternatives » argumente Jean-Michel Molina. Avant de poursuivre « la recherche est transversale. Enrichir nos connaissances pourrait soutenir le développement d’un vaccin contre un autre virus, le cytomégalovirus par exemple. »

Un vaccin efficace 3 voire 5 ans est une perspective réaliste
La molécule de Gilead reste néanmoins une arme puissante dans la lutte contre le VIH, tout particulièrement pour mettre fin au sida. Cet objectif, l’Onusida a montré dans un rapport publié en 2023 qu’il était atteignable d’ici 2030. « On doit atteindre 95-95-95, c’est-à-dire que 95 % des personnes séropositives connaissent leur statut, que 95 % soient traitées et que 95 % aient une charge virale indétectable, détaille Christophe Martet, séropositif depuis 1984 et président de l’association Vers Paris et Seine-Saint-Denis sans sida et lui-même séropositif depuis 1984, l’épidémie s’éteindra ensuite d’elle-même ». Créée en 2016 à l’initiative de la Ville de Paris, l’association s’engage auprès des acteurs locaux pour atteindre l’objectif de L’Onusida. L’Île-de-France représente près de la moitié des cas de VIH en France et, parmi ceux-ci, les populations clefs sont les migrants et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) puisqu’elles représentent les trois quarts des nouvelles infections. « Il y a près de 14 000 prépeurs franciliens, ce qui a permis une diminution de près de 30 % des nouvelles infections à Paris entre 2014 et 2023. Malgré cet excellent chiffre, le meilleur des vaccins ce serait que tous les séropositifs connaissent leur statut et soient traités. » Le dépistage et la sensibilisation constituent deux axes majeurs pour les associations et professionnels de santé. Au cours des quarante dernières années, ce sont 35,7 à 51,1 millions de personnes qui ont succombé à des maladies liées au sida.
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