La flambée inhabituelle de cas pédiatriques d’infections invasives à streptocoque du groupe A (IISGA) survenue dans plusieurs pays européens au cours de la saison hivernale 2022-2023 a jusqu’ici été expliquée par deux hypothèses principales : l’émergence de souches de génotype emm plus virulentes et une diminution de l'immunité de la population à la suite des mesures de lutte contre le Sars-CoV-2. Dans The Lancet, des chercheurs du consortium européen de recherche sur les IISGA, baptisé Pegasus, apportent un nouvel éclairage.
Leur analyse des dynamiques de transmission virale dans 15 pays européens (dont l’Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, …) leur a permis de mettre en évidence le rôle des co-infections virales (grippe, virus respiratoire syncytial [VRS], mais aussi virus varicelle-zona -[VZV]) dans la prédisposition aux IISGA.
Des associations virus-bactéries encore peu explorées
« Quelques travaux ont déjà établi un lien entre la grippe et les IISGA, mais le lien avec les autres virus respiratoires n'était pas forcément évident, explique au Quotidien la Dr Léa Lenglart, des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), et première autrice de l’étude. Notre idée était d’explorer une association temporelle entre l'augmentation des IISGA et la flambée de certains virus, et notamment le VRS qui n'est pas le plus fréquemment étudié dans l'association virus-bactéries. »
+ 229,8 %
telle a été l’augmentation globale des cas de IISGA d’octobre 2022 à mars 2024 par rapport à la période de référence
Les données de 2 091 cas d’IISGA pédiatriques survenues avant l’instauration des mesures de lutte contre le Covid (de janvier 2018 à mars 2020) et après (d’avril 2022 à mars 2024) ont ainsi été analysées. La population de l’étude comprenait 22,3 % d’enfants de moins de deux ans, 21,5 % de 2 à 5 ans et 34,2 % de plus de 5 ans. Les données sur l’âge n’étaient pas disponibles pour le reste de l’effectif. Parmi l’ensemble de ces enfants, 3,6 % sont décédés et 27,7 % ont été admis en unités de soins intensifs pédiatriques (USIP).
Entre octobre 2022 à mars 2024, l’augmentation globale des cas de IISGA s’est élevée à + 229,8 %, par rapport à la période de référence. Cette hausse a été « plus forte chez les enfants plus âgés : + 397,2 % par rapport aux enfants plus jeunes », est-il relevé. Des variations selon les pays sont aussi observées : de + 159,0 % au Royaume-Uni à + 451,7 % en Suisse.
L’analyse des dynamiques virales suggère que l'augmentation des pneumonies à IISGA était temporellement associée à la circulation du VRS et de la grippe
Parmi les phénotypes cliniques, l'augmentation variait de + 62,7 % pour les cas ostéoarticulaires à + 238,0 % pour les cas pulmonaires. Et, là encore, des différences entre pays sont observées. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, la hausse a principalement concerné les cas pulmonaires, tandis qu’au Danemark, en Lettonie ou en Suisse, elle concernait surtout les cas d'infection de la peau et du tissu sous-cutané.
L’analyse des dynamiques virales suggère que l'augmentation des pneumonies à IISGA était temporellement associée à la circulation du VRS et de la grippe, tandis que les infections à IISGA de la peau et des tissus mous suivaient les tendances du VZV. Les chercheurs ont en effet pu établir de fortes corrélations entre l'incidence de la pneumonie à IISGA et le VRS (Rho* = 0,57) et la grippe (Rho : 0,69), mais aussi entre les infections de la peau et des tissus mous et le VZV (Rho : 0,73). Les variations entre pays apparaissent ainsi liées aux différentes évolutions locales des cas VZV, d’un côté, et de VRS et de grippe, de l’autre.
Une baisse d’immunité consécutive aux mesures de lutte contre le Covid
À côté de ce travail épidémiologique, une autre étude récente, publiée dans le Jama Network Open, montre une baisse de l'immunité des enfants aux IISGA et au VRS après la levée des mesures de lutte contre le Covid. Cette approche complémentaire sur la physiopathologie « éclaire un peu plus cette question de la dette immunitaire », souligne la Dr Lenglart.
La flambée d’IISGA en 2022-2023 serait ainsi la conséquence d’une « combinaison de facteurs environnementaux, liés à l'hôte et à l'agent pathogène, et de leur interaction », est-il relevé. Pour réduire le fardeau des IISGA, les auteurs suggèrent une stratégie de vaccination contre les infections virales, telles que la grippe, le VRS et le VZV. Pour confirmer cette piste, le consortium Pegasus va réaliser une étude comparative entre plusieurs pays européens avec ou sans stratégies de vaccination contre la varicelle pour observer l’évolution des formes sévères d’IISGA.
*Le Rho est la mesure d’une corrélation entre deux variables. Une corrélation positive est exprimée par un coefficient entre 0 et 1, une valeur s’approchant de 1 correspondant à une corrélation très élevée.
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