En février 2021, la loi « Ma santé 2022 » a ouvert la possibilité pour les pharmaciens de mettre en place des protocoles pour quatre pathologies : cystite, angine, rhinite allergique et varicelle.
« Nous avons transposé trois de ces protocoles dans notre communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Yenne, en Savoie et nous les avons fait valider par l’agence régionale de santé en août 2022 », explique Daniel-Jean Rigaud, vice-trésorier de l’URPS pharmaciens d’Auvergne-Rhône-Alpes et vice-président de la CPTS Santé Yenne. Pharmacien dans un secteur semi-rural à une vingtaine de kilomètres de Chambéry, Daniel-Jean Rigaud précise que l’hôpital le plus proche est Bellay et ses urgences sont fermées tous les jours de 17 heures à 8 heures et un week-end sur deux. « Nous avons des plateformes de téléconsultations, mais elles sont surchargées », ajoute-t-il. D’où la nécessité de trouver d’autres professionnels pour accueillir les patients.
Dans un premier temps, l’ARS a demandé aux pharmaciens de prendre en charge uniquement les patients ayant un médecin traitant, avant de les autoriser à traiter tous les patients de leur territoire. « Le patient doit seulement être en capacité de comprendre le protocole », précise le pharmacien.
Le dernier arrêté, du 9 mars 2022, a fixé à 25 euros la rémunération à se partager au sein de l’équipe soignante pour les protocoles cystite et angine. « Chez nous, 15 euros vont au pharmacien et 10 euros au médecin. Nous étions les premiers à mettre en place cela en Auvergne-Rhône-Alpes. Les médecins nous aident beaucoup et ne nous laissent pas au milieu du gué, apprécie-t-il. Nous avons réussi à faire 200 protocoles, soit quasiment 1 par jour, dont 100 demandés par les médecins. S’ils ont de la place, ils reçoivent les patients, s’ils n’en ont plus, ils nous les envoient. Nous sommes montés jusqu’à cinq protocoles par jour. En décembre 2022, il y a eu une épidémie de streptocoque A et nous avons reçu énormément de patients. Pour la cystite, nous n’en avons pas fait cet été mais depuis la rentrée ça n’arrête pas ! »
Questions de responsabilité
Parmi les points positifs qu’il a observés, il note « un moindre recours aux urgences et un confort pour nos patients ». Il aime aussi « l’interprofessionnalité que permettent ces protocoles et l’amélioration continue pour les équipes pharmaceutiques ». En revanche, il s’interroge sur les protocoles non aboutis. « Que devons-nous faire par exemple quand une patiente se plaignant de cystite souffre d’une douleur lombaire, ce qui peut indiquer un risque de pyélonéphrite ? Il faut qu’on puisse la réorienter rapidement, car si nous sortons du rail, c’est de notre responsabilité », pointe-t-il.
« La responsabilité sera toujours la vraie question, confirme Éric Myon, secrétaire général de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), et président de la CPTS Paris 8. Il faut rassurer les médecins et il faut aussi prévenir nos assurances que nous avons cette nouvelle mission. »
Promouvoir l’acte pharmaceutique
Par ailleurs, Daniel-Jean Rigaud constate que les protocoles prennent de temps, que ce soit la réalisation d’une bandelette urinaire ou un TROD angine. Néanmoins, ces limites ne l’empêchent pas de réfléchir à d’autres protocoles, notamment pour les douleurs dentaires ou les infections de la paupière. « Pour 2024, il faut bien expliquer aux médecins que nous serons rémunérés de la même façon, que l’on délivre ou non des antibiotiques. Nous sommes payés pour réaliser un protocole, pas pour donner des médicaments », insiste-t-il.
Pour Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), « il faut faire attention aux termes, car la dispensation protocolisée est différente de la délégation de tâche. Lorsqu’un médecin délègue sa compétence à un pharmacien, l’acte que font les confrères est un acte médical : ils posent un diagnostic, ils ont accès à l’examen clinique et ils ont la possibilité de faire une prescription au nom du médecin, avec son numéro RPPS. Ils peuvent éventuellement prescrire un arrêt de travail d’un jour, même si, dans la plupart des cas que j’ai étudiés, ils ne le font pas. » Cette délégation de tâche implique un partage de la rémunération de gré à gré entre médecins et pharmaciens, qui va de 12,50 euros chacun à 25 euros pour le pharmacien et 0 pour le médecin.
« Ce n’est pas cela qui est dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Ce que nous voulons faire dans le droit commun, c’est la dispensation protocolisée, c’est-à-dire l’acte pharmaceutique. Lorsque le pharmacien délivre un médicament sans prescription médicale, il a un devoir de conseil. Nous souhaitons protocoliser ce conseil », résume-t-il. Il estime que les protocoles vont « s’inspirer fortement de ce qui existe dans les protocoles de délégation, mais la différence sera que le médecin traitant n’aura pas accepté le cadre de délégation. Il sera mis devant le fait accompli ».
Une nouvelle mission qui n’est pas pour demain
Si ces évolutions vont selon lui dans le bon sens, il tient cependant à mettre en garde les pharmaciens : ce n’est pas pour demain ! « La possibilité de prescrire et délivrer des vaccins était inscrite dans la loi en août 2019. Elle est mise en œuvre seulement en 2023. Ne vous attendez pas à faire des dispensations protocolisées en février 2024. La Haute Autorité de santé (HAS) va devoir écrire un protocole pour définir les conditions d’application et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) doit lister les médicaments éligibles à cette nouvelle mission. Il faudra aussi avoir défini la rémunération au niveau conventionnel », souligne-t-il.
Sa consœur Sonia Jouve, vice-présidente de l’Union des syndicats de pharmaciens (USPO), ajoute que « la pharmacie clinique ne peut se faire que si l’officine évolue, avec des locaux adaptés et des formations ». Elle note que « les associations de patients poussent dans ce sens afin de faire avancer ces nouvelles missions. C’est un travail de longue haleine avec les autres professionnels de santé. L’essentiel, c’est d’embarquer tout le monde pour que cela se passe bien », conclut-elle.