L’épidémie de grippe frappe fort cette année : une sévérité marquée, des services d’urgences saturés, un nombre de décès avec mention de grippe se situant à un niveau jamais atteint depuis la mise en place de la surveillance, selon Santé publique France. Les raisons de cette énième crise sanitaire se lisent dans une couverture vaccinale en recul par rapport aux années précédentes. Au 4 janvier, après 82 jours de campagne, 10,5 millions de doses de vaccins antigrippaux s’étaient écoulées dans les pharmacies françaises, soit 0,9 % de moins que l’année dernière et 9 % de moins qu’en 2022. À la même date, 58 % seulement des 65 ans et plus étaient vaccinés, soit une couverture vaccinale en retrait de 4 points par rapport à l’année précédente(1).
L’officine, pourtant, se démarque. Jamais les chiffres de la vaccination en pharmacie n’ont été aussi élevés. Sur les 65 ans et plus vaccinés, 65 % avaient choisi l’officine, soit 6 points de plus qu’en 2023/2024. Mais cette implication de la profession n’a pas suffi. Elle a d’ailleurs été victime de son succès puisque dans plusieurs régions, notamment en Provence-Côte d’Azur et dans le Grand Est, les vaccins grippe sont venus à manquer.
Où sont les vaccins ?
Alors que la direction générale de la santé (DGS) appelait, dans un communiqué du 13 janvier, les Français à se faire vacciner contre la grippe et les pharmaciens « à intensifier la communication auprès de leurs patients, notamment ceux à risques », dans les officines, il ne restait, au soir du 14 janvier, que 400 000 doses de vaccins antigrippaux. Soit « seulement quelques jours de vaccination », selon Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). Des doses aussi « très mal réparties », n’a pas manqué de remarquer Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), indiquant qu’il restait, le 14 janvier, 33 vaccins par pharmacie mais pour une médiane de 8 vaccins par pharmacie. Selon lui, 30 % des pharmacies n’avaient plus de vaccins. « 10 % des officines détiennent 50 % des doses », confirme Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il est aussi extrêmement difficile de s’approvisionner auprès des grossistes. Dans les Vosges par exemple, le 14 janvier, seul InfluvacTetra était disponible « chez un grossiste sur trois », confie une pharmacienne.
10 % des officines détiennent 50 % des doses
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
Pour tenir jusqu’à la fin de la campagne, qui doit prendre fin le 31 janvier, Sanofi a ainsi annoncé en grande pompe dans la presse grand public, le 11 janvier, fournir des doses complémentaires de vaccins qui seront progressivement distribuées chez les grossistes-répartiteurs qui passent commande. Le laboratoire a ainsi confirmé mettre 250 000 doses de VaxigripTetra initialement prévues pour le marché étranger à disposition des officines « dans les meilleurs délais ». Il aura fallu une semaine pour que les officinaux puissent passer commande. « La seule différence se joue au niveau du conditionnement, par exemple avec des mentions écrites dans une autre langue. Pour le reste, pas de changement à relever, avec la même forme pharmaceutique qu’habituellement (seringue préremplie unidose) », précise un représentant du laboratoire. Chez GSK, « nos faibles stocks restants ont bien été mis à disposition », explique le laboratoire, sans préciser le nombre de doses de FluarixTetra encore disponibles. « Sur 130 agences de grossistes-répartiteurs en France, seule quatre disposaient encore des stocks de FluarixTetra (à Nîmes, à Marseille, à Avignon et à Bourges), selon l’outil Apodis », démontrait Guillaume Racle, élu au bureau national de l’USPO, au 17 janvier. Une rallonge de doses d’InfluvacTetra (Viatris) restait encore à confirmer, selon la DGS.
D’où l’appel à la solidarité lancé par les autorités de santé aux pharmaciens qui disposent d’un stock conséquent de vaccins antigrippaux, afin d’approvisionner leurs confrères qui n’en ont pas. En région, on s’organise. Appuyés par la plupart des URPS pharmaciens, des dépannages entre confrères se sont mis en place « dans la logique des pratiques usuelles de coopérations entre officines », dixit l’URPS pharmaciens Île-de-France dans un mail envoyé à ses pharmaciens le 15 janvier. Partout, le terme de « rétrocession » est soigneusement évité, sauf en région PACA où l’ARS a autorisé la rétrocession de vaccins antigrippaux, jusqu’ici interdite, « sur certains profils et à condition de respecter les bonnes pratiques », annonce Cyril Colombani, élu URPS pharmaciens PACA et président Alpes-Maritimes de l’USPO. « Le fait de rétrocéder est ARS-dépendant, rapporte Pierre-Olivier Variot. Au niveau national, j’attends le “go” de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). » Sur le terrain, c’est le système D : « On utilise des glacières ou des caisses de froid pour récupérer les doses. Les caisses de froid utilisées par les grossistes conservent leur température plus d’une dizaine d’heures et sur plusieurs kilomètres », explique Cyril Colombani.
Succès éphémère
Cependant, l’effet médiatique de l’appel lancé par la DGS a eu un effet… pendant quelques jours. « Au moment de l’annonce de la DGS, j’ai effectué 5 à 10 vaccinations contre la grippe par jour. Trois jours après, j’en effectuais une ou deux », décompte Guillaume Racle. Pour preuve, entre le 7 et le 14 janvier, il n’y a eu que 180 000 vaccinations supplémentaires, calcule-t-il, dont plus de 110 000 chez les personnes de 65 ans et plus.
A l’approche de la fin de la campagne nationale de vaccination, l’heure est déjà au bilan et aux pistes d’amélioration se dessinent pour aborder la saison 2024-2025. fraîchement nommé ministre de la Santé, Yannick Neuder a remis le 10 janvier à l’ordre du jour la question de la vaccination obligatoire des soignants, estimant qu’elle mérite, de nouveau, d’être posée. L’extension de la vaccination à d’autres catégories de population est également évoquée. Aux enfants (voir page 5), mais aussi aux personnes âgées de 65 ans et plus pour lesquelles suggère Pierre-Olivier Variot, la prise en charge devrait être systématique « sans bon de vaccination ».
Tout le poids de la campagne sur le pharmacien
Deuxième levier pour intensifier la prochaine campagne vaccinale : augmenter les commandes de vaccins en pharmacie. Alors qu’ils sont invités jusqu’au 31 mars 2025, à passer les précommandes en vaccins tétravalents (2) pour la campagne 2025-2026, les pharmaciens restent cependant dans le flou le plus total. Chacun devra, seul dans sa pharmacie, anticiper la saison prochaine. Mais est-ce encore aux pharmaciens de porter le poids de toute la campagne nationale de vaccination contre la grippe ? En effet, « dans le cadre des précommandes, plus de 12,5 millions de doses ont été acquises par les pharmaciens (ville et hôpital) pour cette campagne de vaccination », indique la DGS. Dont près de 11 millions par les pharmaciens de ville seuls.
« Ce serait bien que l’on ait des consignes pour l’orientation des commandes de vaccins », s’exaspère Philippe Besset, qui recommande à ses confrères et consœurs d’augmenter de 10 % leurs commandes de vaccin pour la prochaine campagne. Mais à condition d’avoir des garanties. « Je commande habituellement 660 doses de vaccins. Si on me dit d’en commander 900 pour la saison prochaine et que je ne délivre pas tout, qui va me payer les stocks restants ? », s’interroge le président de la FSPF. « La DGS, à part nous dire de commander, ne se mouille pas davantage. Le risque financier, c’est le pharmacien qui le prend, abonde Guillaume Racle. À 7,50 euros l’acte vaccinal… Si on perd 20 % des doses, on perd toute notre marge. »
« Il faudra voir avec les laboratoires les conditions de reprise pour sécuriser le réseau, en s’engageant par exemple à reprendre 20 % des stocks », poursuit Philippe Besset. La reprise des stocks restants est aujourd’hui une autre contrainte. « Le volume des doses reprises par le laboratoire est variable, de 5 à 20 %. Mais c’est 5 à 20 % sur les doses commandées pour la saison prochaine, sous forme d’avoir, explique Guillaume Racle. De plus, l’un des acteurs nous dit qu’il reprend les doses restantes si et seulement si la pharmacie réalise 75 % de ses commandes de vaccins antigrippaux chez lui. »
Pour Philippe Besset, les pouvoirs publics devraient aussi disposer de stocks tampons. Pour Laurent Filoche, « la seule façon d’améliorer la situation, c’est que ce soit l’État qui achète les stocks ». Comme pour la vaccination contre le Covid-19.
Les pharmaciens promoteurs de la vaccination, oui, mais pas à n’importe quel prix.
(1) Données GERS DATA
(2) Les trivalents excluant la souche B/Yamagata doivent encore bénéficier d’une AMM et d’un remboursement et feront l’objet de la commande finale
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