Aux États-Unis, une épidémie de pathologies pulmonaires graves liées au vapotage sévit depuis l'été 2019. Selon les dernières données, 1 299 personnes ont été atteintes dans une cinquantaine d’États, dont 26 sont décédées. 80 % d’entre elles avaient moins de 35 ans, et étaient en majorité des hommes. Une épidémie qui a eu pour conséquences l'interdiction des e-cigarettes aromatisées aux États-Unis, et leur interdiction totale en Inde. « Le dénominateur commun entre les malades était l’utilisation d’e-cigarette, et dans 80 % des cas, avec des produits du cannabis », tient d'emblée à préciser le Dr Anne-Laurence Le Faou, responsable du centre d'addictologie de l’Hôpital européen Georges Pompidou de Paris et présidente de la Société francophone de tabacologie. En revanche, le mystère demeure sur les causes exactes de l’épidémie. Seule certitude : il s’agit de pneumopathies toxiques, et non pas infectieuses. Parmi les pistes explorées, l’apparition de dérivés nocifs lors du mélange de plusieurs produits pour composer le e-liquide, ou la présence de vitamine E dans les liquides nicotiniques… Les investigations sont toujours en cours.
La France indemne
Face à cette situation Outre-atlantique, faut-il s’inquiéter en France des maladies liées au vapotage ? Pour le moment, aucun cas de telles pneumopathies n’a été notifié. Toutefois, les autorités sanitaires prennent la menace très au sérieux. La Direction générale de la santé (DGS) a ainsi mis en place un dispositif de signalement des pneumopathies sévères liées au vapotage. « À ce jour, il y aurait 3 cas en cours d’investigation, mais pour le moment rien n'est confirmé », rapporte le Pr Nicolas Roche, pneumologue à l’hôpital Cochin et président de la Société de pneumologie de langue française (SPLF).
Par ailleurs, la situation française est très différente de celle des États-Unis. D'abord, la composition des liquides est plus contrôlée. Avant toute commercialisation, elle doit être approuvée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) qui en publie la liste sur son site Internet. De plus, la teneur maximale en nicotine autorisée dans les e-liquides est plus faible en France : 20 mg/ml contre 50 mg/ml aux États-Unis. Pourtant, cet encadrement du marché n’empêche pas certains vendeurs de bafouer les règles. Ainsi, lors de contrôles effectués en 2017 et 2018 sur plus de 1 000 références dans 344 établissements, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a constaté que, dans 45 % des cas, l’emballage et l’étiquetage des e-liquides n’étaient pas conformes à la réglementation.
Enfin, ce cadre réglementaire n’empêche pas les utilisateurs de se fournir très facilement - sur Internet - en produits absolument pas contrôlés. Et notamment de se procurer des liquides dérivés du tétrahydrocannabinol, produit psychoactif contenu dans le cannabis. « Les cas ne sont pas rares », selon Anne-Laurence Le Faou.
Protéger le consommateur
C’est par une information claire que l’on protégera au mieux les consommateurs. Ainsi, aux États-Unis, les consignes du gouvernement sont de ne pas utiliser les liquides d’un tiers - voisins, amis, famille…- et de ne pas les acheter dans la rue, ni en ligne.
En France, « il faut d’abord insister pour que les consommateurs respectent les consignes d’utilisation. C’est-à-dire, ne pas mélanger les liquides, ne pas faire surchauffer son vapoteur, faire en sorte qu’il soit toujours rempli d’un peu de liquide, ne pas le mettre au contact de clés ou de monnaie, pour ne pas risquer de le faire dysfonctionner. Ces recommandations sont bien souvent ignorées, regrette Anne-Laurence Le Faou. En outre, il est fortement conseillé d’acheter ses produits en boutique, et de choisir ceux qui répondent à la norme européenne AFNOR », une mention qui figurera alors sur le conditionnement. Rappelons au passage que, dès 2011, le ministère de la Santé avait décidé l’interdiction de leur vente en pharmacie.
Parce qu'elle est souvent observée chez les jeunes et qu'elle représente une porte d’entrée vers le tabagisme, l'utilisation de la cigarette électronique à des fins récréatives, avec ou sans dérivés du cannabis, est absolument à proscrire. En revanche, la question du recours au dispositif comme outil de sevrage tabagique se pose.
En l’absence d’études suffisantes pour évaluer la balance bénéfice/risque de la cigarette électronique, le ministère de la Santé s’abstient pour le moment d'émettre un avis. Favorables ou hostiles, plusieurs institutions se sont, elles, clairement positionnées sur le sujet : l’Institut national du cancer (INCa) et le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) la considèrent comme une aide à l’arrêt du tabac, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence américaine du médicament (FDA) sont contre. Tout comme la Société européenne de pneumologie (ERS), qui, récemment, a refusé d’encourager son usage. La SPLF a adopté une position plus souple, en déconseillant le vapotage, en première intention, dans le sevrage tabagique. « Compte tenu des doutes sur une éventuelle toxicité pulmonaire, on utilisera d’abord les autres moyens validés avant d'avoir recours, en cas d’échec, à l’e-cigarette », précise Nicolas Roche. De son côté, le Pr Benoît Vallet, ancien directeur général de la Santé, estime que le vapotage est un outil efficace de réduction des risques.
La vape plus sûre que la cigarette
Pour Anne-Laurence Le Faou, « l’important est tout d’abord d’arrêter de fumer », avec les moyens qu'on veut : sans substitut, au moyen de patchs, des gommes nicotiniques, des sprays, de la varénicline, et pourquoi pas, d'une cigarette électronique. Une option qui n'est pas à exclure. Car « la cigarette électronique est, par définition, plus sûre que la cigarette classique, alors qu'il y a une tendance croissante dans la population à penser qu'elle est elle plus dangereuse », a affirmé le Dr Lion Shahab, du collège universitaire de Londres, à l'occasion du « Sommet de la vape » qui se tenait lundi dernier à Paris.
De plus, dans une étude britannique de 2019 comparant les outils de sevrage tabagique, la faveur va à la cigarette électronique plutôt qu'aux patchs nicotiniques. En effet, au bout d'un an, le taux de sevrage était de 18 % dans le groupe e-cigarette versus 9,9 % dans le groupe patch. Toujours à un an, 80 % des personnes du groupe e-cigarette utilisaient toujours leur outil de sevrage, alors qu'ils n'étaient que 9 % dans le groupe patch. « Ce qui montre que les participants appréciaient leur cigarette électronique ou en avaient besoin pour ne pas rechuter », commente Anne-Laurence Le Faou.
Le problème est que, bien souvent, les gens qui vapotent continuent à fumer un peu. Et, s'ils parviennent à arrêter de fumer, ils s'interrogent sur la façon d'arrêter de vapoter par la suite, sachant qu'on ignore ses effets potentiels à long terme. Le sevrage tabagique réussi ne serait-il pas, après avoir arrêté la cigarette, d’arrêter aussi l'e-cigarette ?
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