Une affirmation qui n’a rien d’une promesse en l’air. En effet, le modèle coopératif (qui représente une part significative des pharmacies groupées en France) a fait ses preuves. « Les coopératives existent depuis des siècles. C’est un modèle très résilient, et il n’y a aucun doute à avoir sur la pérennité de ce modèle, qui est très sain et permet aux adhérents d’être actionnaires. On le voit aujourd’hui, beaucoup de groupements en coopérative sont performants », affirme Benoît le Gavrian, directeur Général de Giphar, qui, avec 1 250 adhérents, est un leader historique de cette catégorie de groupements.
Mais les pharmaciens s’y retrouvent-ils ? « Pour les pharmaciens, la question qui se posera de plus en plus est celle du modèle le plus favorable à leurs intérêts », explique Mélanie Sarot, présidente de Totum. « Dans des modèles de coopérative, ou de commerce associé avec gouvernance coopérative comme le nôtre, où les droits de vote de la structure commune sont intégralement détenus par des pharmaciens, les intérêts convergent naturellement ».
Si elles se posent comme alternative aux modèles de groupements associés à des fonds d’investissement ou des répartiteurs, les coopératives ne sont toutefois pas opposées au phénomène de concentration. Nombre de ces groupements en sont, du reste, acteurs et estiment même que la concentration peut se faire au bénéfice des pharmaciens adhérents. « C’est, avant tout, l’opportunité d’offrir une voie garantissant les intérêts du pharmacien », analyse Lucien Bennatan, président d’Act Pharmacie, dont les adhérents sont actionnaires de la structure et partie prenante des décisions du groupement.
Ces groupements visent également à répondre aux besoins croissants d'accompagnement des pharmaciens, en particulier ceux issus de la nouvelle génération, tout en se positionnant contre la financiarisation du secteur. « Il y a 20 ans, les groupements, n’étaient pas indispensables. Ils étaient nécessaires pour obtenir de meilleures conditions d’achat, mais c’était tout. Aujourd’hui, les pharmaciens, et surtout les jeunes doivent composer avec de nouvelles missions, le poids des crédits, les contraintes administratives et la gestion des équipes… beaucoup redoutent la charge entrepreneuriale que représente l’officine. Ils ont besoin d’accompagnement et de valeur ajoutée, et c’est ce que nous, groupements coopératifs, pouvons et devons leur apporter, notamment avec les boosters d’apport », revendique Gilles Unglik, directeur général de Giropharm, qui, avec la récente acquisition d’Apothera, est devenu le plus gros groupement coopératif de France (près de 1 800 adhérents).
Les atouts spécifiques du modèle coopératif
Pour tirer leur épingle du jeu, sur quoi peuvent compter les coopératives ? Selon leurs dirigeants, leur plus grande force est l’engagement de leurs adhérents, particulièrement important lors des négociations avec les laboratoires (voir page 22). Outre ce système de « gouvernance participative », beaucoup partagent les informations financières et stratégiques ainsi que les bénéfices de manière transparente, ce qui tend à instaurer un climat de confiance.
Car le succès de ces groupements coopératifs repose sur un cercle vertueux où valeurs et performance se nourrissent mutuellement. « C'est un point de différenciation très important pour nous, qui sommes attachés à la proximité, l'indépendance et l'esprit d'entreprise. Les pharmaciens qui partagent cette vision sont plus motivés et impliqués, et c'est tout le groupement qui en profite », explique Gaëlle Madoux, directrice générale de Santalis France.
Mais aujourd’hui ces valeurs ne peuvent porter leurs fruits qu'à condition que les groupements atteignent une taille critique. Comme le souligne Valérie Kieffer, présidente de Giphar : « La taille est très importante. Si vous disposez d'une masse d'adhérents fédérés et disciplinés, vous optimisez vos achats et améliorez donc vos conditions. » C’est une des raisons qui encourage les petits groupements régionaux à s’unir, notamment sous la bannière de la fédération APSAGIR, qui réunit 11 groupements différents pour plus d’un millier de pharmacies. Mieux encore. Les coopératives de pharmaciens adhérentes de la Fédération du Commerce Coopératif et Associé (FCA) viennent récemment de décider de s’unir au sein d’un collège.
Dans cette dynamique de concentration, un équilibre subtil reste toutefois à trouver, car la croissance ne doit pas s’opérer au détriment de la cohésion. La construction d'une culture d'entreprise forte et d'une confiance mutuelle entre adhérents nécessite du temps et un engagement constant. C'est ce travail de fond qui permet aux groupements coopératifs de conjuguer l'efficacité économique avec leurs valeurs respectives.
D’autant que ce modèle coopératif a déjà fait ses preuves. Dans la grande distribution, les enseignes E.Leclerc, Système U ou encore Intermarché démontrent qu'une gouvernance participative peut rivaliser avec les grands groupes intégrés, voir les dominer. Le secteur de l'optique n'est pas en reste, avec des acteurs majeurs comme Krys ou Optic 2 000 qui s'appuient sur ce modèle pour maintenir leur position de leaders. Michel Dailly, directeur général d’Objectif Pharma, le sait mieux que personne : « J’ai travaillé pendant près de 20 ans dans les secteurs de l’optique et la distribution. Je suis convaincu que le modèle coopératif est le plus pertinent pour les pharmaciens. Des exemples comme Intersport, qui a racheté GoSport, ou Optique 2 000 et Krys qui sont des acteurs leaders de leur secteur, démontrent la force de ce modèle. »
Ces success-stories illustrent la capacité des coopératives à conjuguer performance économique et préservation de l'indépendance des adhérents, tout en atteignant des tailles critiques significatives sur leurs marchés respectifs.
Innover et s’adapter
Pour prospérer, les coopératives ne peuvent se contenter de compter sur leur valeur ou leur fonctionnement, elles doivent aussi se démarquer de manière active. Via son entité Totum Lab, Totum s'illustre ainsi dans la recherche, avec un projet retenu par l'Institut de recherche en santé publique (IReSP) et l'Institut national du cancer (INCa) sur les addictions aux substances psychoactives. Une initiative qui prouve que le modèle coopératif peut contribuer à la recherche en Santé publique.
Côté développement commercial, Astera fait preuve d'agilité en proposant quatre offres distinctes (Santalis, UniQ, Paraph et well & well) adaptées aux différents profils d'officines. Le groupement accompagne également ses adhérents dans leurs nouvelles missions, avec quatre priorités pour 2024 : vaccination, TRODs, ainsi que les entretiens avec les femmes enceintes et oncologie. Ces nouvelles missions sont aussi un axe de développement majeur pour les groupements Unipharm, ainsi que Giropharm et Objectif Pharma, qui ont tous les deux récemment milité pour l’appropriation de ces activités par les pharmaciens.
Enfin, sur le terrain des solutions pratiques, Act Pharmacie se démarque avec des innovations concrètes : podologie numérique pour optimiser le temps d'intervention du pharmacien, soutien à la téléconsultation avec plusieurs options adaptables, ainsi que des investissements dans l’IA, avec logiciel d'assistance pour sécuriser les actes de pré-diagnostic et de prévention.
Face aux difficultés économiques des adhérents, la complexification de leur quotidien, la financiarisation croissante du secteur pharmaceutique, le modèle coopératif se présente comme une réponse viable et pertinente, capable de concilier performance économique et préservation des valeurs essentielles aux officinaux. Les succès des coopératives dans d'autres secteurs illustrent leur potentiel à rivaliser avec les grands groupes tout en garantissant l'indépendance de leurs membres. Et ce, tout en étant un vecteur d'innovation et de soutien pour les pharmaciens de demain. Et peut-être bientôt, en jouant un rôle influent auprès des décideurs politiques… ?
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