

Il faut croire que le monde pharmaceutique nourrit depuis toujours un intérêt particulier pour les arts tant les collections privées de pharmaciens ou celle d’entreprises, liées à des laboratoires, sont nombreuses et remarquables.
Il y a à peine quelques mois, la maison de vente Christie’s dispersait aux enchères l’incroyable collection de peintres impressionnistes du pharmacien Henri-Edmond Canonne – l’une des plus importantes à ce jour sur ce courant - pour un total de 5,3 millions d’euros. Et il y a 3 ans, nous prenions le chemin d’Aubervilliers, dans une rue calme, derrière de hauts murs austères, pour découvrir, dans les locaux d’un laboratoire pharmaceutique, une étonnante et foisonnante collection d’art, rassemblée au fil des ans par Jean Cherqui, fondateur des laboratoires Gallier et Jumer et, à ses rares heures perdues, amateur passionné d’art cinétique et optique. Plus de 4 000 œuvres, glanées au fil de ses nombreux voyages afin de constituer une des plus importantes collections d’Op Art au monde.
Du Tarn au Japon
Ce précurseur de la mise sur le marché des médicaments génériques en France avait aussi un flair esthétique qui le rapprocha d’artistes reconnus tels que Victor Vasarely, Julio Le Parc, Jesus Rafael Soto ou encore Jean Tinguely, alors qu’il se préoccupa aussi de soutenir de jeunes artistes sud-américains. Sa collection est désormais visible sur rendez-vous. Ses deux exemples témoignent de l’attachement particulier que les pharmaciens et chimistes ont pour les œuvres d’art au point d’être parmi les plus importants promoteurs et mécènes des arts de leur temps, car s’ils regardent vers le passé, ils sont aussi très proches des jeunes artistes. L’exemple le plus remarquable en la matière reste celui du chimiste américain Alfred Barnes, dont la fondation, à Philadelphie, est un des plus beaux musées du monde depuis maintenant plus d’un siècle.
Qu’il s’agisse d'histoires tragiques ou d’événements durablement bienfaiteurs, l’histoire de la pharmacie a toujours soutenu les arts et bon nombre de figures de pharmaciens furent des philanthropes éclairés.
L’an dernier, c’était au tour des Laboratoires Pierre Fabre de dévoiler pour la première fois l’exceptionnelle histoire de la collection d’art réunie par leur fondateur. Trois musées - le Musée Goya de Castres, celui du Pays de Cocagne de Lavaur et la Cité de Sorèze - se sont ainsi associés pour exposer la vision de l’entrepreneur esthète qui était amoureux du Tarn, sa région natale. Les laboratoires avaient même commandé, pour l’occasion, un triptyque au peintre contemporain, Yan Pei Ming afin qu’il représente le portrait de Pierre Fabre dans trois attitudes différentes. Le pharmacien, fondateur en 1962 de la marque dermo-cosmétique mondialement connue, a régulièrement acheté aux enchères de nombreux artistes locaux, en dehors de toute tendance ou effet de mode. Son intérêt était guidé par son ancrage dans sa région, ce qui le conduisit à soutenir et enrichir plusieurs musées territoriaux. Il s’est aussi passionné pour les estampes japonaises après avoir noué une amitié avec Yoshiharu Fukuhara, petit-fils du fondateur de la marque de cosmétique Shiseïdo, ou encore pour les vases de style Art Nouveau d’Emile Gallé et René Lalique, ornés de multiples plantes qui faisaient écho à son intérêt pour la botanique.
Pas de compromissions
De plus triste mémoire, mais à l’impact économique et financier pourtant phénoménal, c’est le nom de la famille Sackler, propriétaire de la firme américaine Purdue Pharma (qui a déposé le bilan en 2007), qui est inextricablement lié à la philanthropie muséale, mais aussi à la crise des opioïdes qui frappa les États-Unis dans les années 2000-2010. La cause : le puissant anti-douleur OxyContin mis sur le marché en 1996, véritable cash machine estimée à plus de 35 milliards de dollars mais aussi responsable de plus de 300 000 cas d’overdoses. Pour le monde de l’art, Sackler est associé à une aile du Metropolitan Museum de New York, à des espaces au sein du Guggenheim et de la Tate Modern de Londres ou encore à l’aile des Antiquités orientales du musée du Louvre. Une générosité extraordinaire dont la réputation chuta définitivement lorsque ces mêmes institutions décidèrent finalement de ne plus recevoir de donations de la part de cette famille, tandis que le Louvre s’empressa même de masquer le terme « aile Sackler » dans ses salles au moment où la célèbre photographe militante Nan Goldin enjoignait ces prestigieux lieux culturels de se départir de tout lien avec les richissimes donateurs, désormais beaucoup trop controversés.
Qu’il s’agisse de cette tragique histoire ou d’événements durablement bienfaiteurs, l’histoire de la pharmacie a toujours soutenu les arts et bon nombre de figures de pharmaciens furent des philanthropes éclairés. Ainsi, il est inévitable de citer Maya Hoffmann, richissime héritière des laboratoires suisses Hoffmann-La Roche qui a créé à Arles un écosystème unique en son genre. Petite-fille d’une collectionneuse invétérée, fondatrice du musée d’art moderne de Bâle, et fille de Lukas Hoffmann, ornithologue inventif, qui fit de la Camargue sa terre promise en y fondant une station d’observation biologique et la Fondation Vincent Van Gogh, elle a de qui tenir. C’est à travers la Fondation Luma, inaugurée en 2021, qu’elle soutient les artistes contemporains en programmant des expositions dans la ville antique où elle est aussi propriétaires de plusieurs hôtels et restaurants gastronomiques.
Grâce aux recettes, nous soutenons directement l'art et la culture, par exemple à travers notre grand festival annuel
Thomas Helfrich, directeur du département Culture de Bayer
De quelques centaines à quelques milliers d’euros
Mais c’est aujourd’hui une autre collection d’art qui fait parler d’elle, celle des laboratoires Bayer. En 2013, pour les 150 ans du géant pharmaceutique allemand, elle avait été montrée pour la première fois au public au Martin-Gropius-Bau à Berlin dans le cadre d’une exposition intitulée « De Beckmann à Warhol : l’art du XXe et du XXIe siècle ». Désormais, c’est sous le feu des enchères que ce trésor, rassemblant les grands noms de l’art moderne allemand, américain et français, est visible. Max Beckmann, Pablo Picasso, Georges Braque, Marc Chagall, Pierre Soulages, Joseph Albers… Le laboratoire se sépare en effet de près de 40 % de sa collection historique pour un motif qui laisse sans voix : le manque de place… Ainsi 800 pièces ont été mises à l’encan début juin puis continueront d’être dispersées lors de vacations futures dont les dates restent encore à préciser. Parmi les premiers résultats remarquables, un portrait d’une jeune femme (d’après Lucas Cranach l’Ancien) d’Andy Warhol, est parti pour 815 340 euros et un autre de l’actrice Nastassja Kinski a été cédé pour 434 848 euros tandis qu’Orchidées - Nature morte au bol vert de Max Beckmann a trouvé preneur pour 407 670 euros.
Au total, cette première vente qui se tenait chez Van Ham* à Cologne et qui se concentrait sur les lots phares de la collection a généré 5,3 millions d’euros. Pour les enchères ultérieures, cette fois uniquement proposées en ligne, les prix étaient bien plus abordables, de quelques centaines à quelques milliers d’euros pour des signatures tout aussi prestigieuses. Ainsi des lithographies, gravures, dessins et sculptures de Picasso, Pierre Soulages, Anna Mahler, Sam Francis, David Hockney, Joseph Beuys ou Oskar Kokoschka convenaient à toutes les bourses, puisqu’il s’agissait principalement d’œuvres sur papier. « Grâce aux recettes, nous soutenons directement l'art et la culture, par exemple à travers notre grand festival annuel », a expliqué Thomas Helfrich, directeur du département Culture de Bayer, au journal « Der Spiegel », en parlant du festival de rue à Leverkusen que le laboratoire soutient. « Nous souhaitons soutenir spécifiquement les jeunes artistes », a-t-il aussi souligné. La philanthropie pharmaco-artistique est ainsi un cercle vertueux et a de beaux jours devant elle.
*auction.van-ham.com
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