Ils ont osé le pari de la pharmacie sans para. Barbara Le Boënnec à Lyon, Serge Maarek à Paris ou encore Guillaume Kreutter qui, après 7 ans passés à Strasbourg, a repris la pharmacie de Scherwiller, en Alsace. Dans ses nouveaux murs, il a installé une salle de 25 m2 pour animer des formations et des ateliers, mais aussi un espace pour le préparatoire, et réduit le non remboursable au soin et à la phytothérapie. « Je choisis ce que garde en fonction de la demande du patient, et pas du consommateur, explique-t-il. Il a besoin d’orthèses, d’anti-inflammatoires, j’ai. Il a besoin de compléments alimentaires, j’ai. Mais je n’ai pas de produits « plaisir ». » S’il y a bien un secteur dont on peut se passer, selon lui, ce sont les crèmes de beauté. En développant les services et les actes à l’initiative du pharmacien (vaccinations, conseils, accompagnement santé, etc.), il a réduit la part du remboursable dans son chiffre d’affaires (en hausse) à 65 % au lieu de 90 %, tout en diminuant au maximum la part de l’activité para. « Et la marge s’est améliorée. »
Ils sont encore peu nombreux à franchir le pas de retirer la parapharmacie, et les promotions qui vont, de leur espace vente. Et ce n’est pas étonnant vu les marges promises. Bastien Legrand, expert-comptable du cabinet FCC Experts-comptables & avocats, à Marcq en Baroeul (Nord), président du réseau CGP, ne connaît même aucune pharmacie sur son territoire qui l’ait fait de son propre chef. « Quelle officine peut se passer de 45 000 euros de marge ? », questionne-t-il. Son cabinet estime, en effet, que la parapharmacie représente entre 6 et 7 % du chiffre d'affaires en moyenne, soit 150 000 euros de parapharmacie, ce qui correspond à 45 000 euros de marge. « Il n'y a pas suffisamment de relais de développement du chiffre d’affaires pour en écarter un », estime l’expert.
Les petites officines, par contrainte plus que par choix
« Il faut dissocier les pharmacies avec des surfaces de vente importantes des petites et moyennes officines, explique Emmanuel Leroy, responsable national pharmacie du cabinet d’experts-comptables Rydge Conseil. Certaines typologies d’officines sont pourtant bien obligées de faire sans, compte tenu de leur taille ou de leur zone de chalandise. Ainsi, pour les pharmacies de petite taille, l’intérêt économique est moindre. « Les patients ne viennent pas pour ça, c’est de l’achat d’impulsion » « À l’inverse, les pharmacies avec des surfaces de vente importantes ne peuvent pas se passer d’avoir des rayons de parapharmacie et des volumes importants. La marge sur ces produits leur permet de couvrir une partie des frais généraux, notamment les loyers. »
L’implantation géographique joue également un rôle prépondérant. « Il est tout à fait possible d’être rentable avec un minimum de parapharmacie », reconnaît Bastien Legrand. À condition d’être situé près d’un hôpital ou d’un EHPAD. » C’est le cas de la pharmacie Bichat, voisine de l’hôpital parisien dont elle porte le nom. Son titulaire, Serge Maarek, explique que 95 % de sa marge vient du médicament : « nos patients viennent d’un EHPAD, du quartier, du passage et de l’hôpital. Les prescriptions hospitalières sont des anticancéreux, des rétroviraux. Pour le montant d’ une ordonnance hospitalière, je dois en délivrer 20 en EHPAD. Mais la marge, avec les médicaments chers, est un peu écrasée. » Il n’a gardé que quelques références de crèmes dermatologiques, d’hygiène dentaire et féminine, de soins pour bébé. Il ne peut toutefois éliminer ce rayon sous peine de perdre les clients de passage. « Mais il est de plus en plus difficile d’obtenir les prix du marché lorsqu’on ne conserve que les 20 % de produits leaders dans une gamme. »
La marge dégagée par la parapharmacie dépend effectivement de la taille de l’officine, de ses charges fixes et de sa capacité à gérer un stock conséquent. « Elle est séduisante, mais toute relative », confirme l’expert-comptable Emmanuel Leroy. Certes, dans un contexte de marge brute de l’officine en recul (28,3 % du chiffre d’affaires en 2024 *), la parapharmacie apparaît comme un levier d’amélioration de la rentabilité globale. « Sa part dans le chiffre d’affaires moyen est en constante progression, de + 7,3 % en 2024. Et le taux de marge, est stable à 31 % et supérieur à celui des médicaments remboursés (27,2 %) ». En moyenne en 2024, ce secteur a rapporté 66,4 millions d’euros à la marge globale moyenne, dont il constitue environ 11 %.
Une trésorerie immobilisée dans le stock
Mais la balance bénéfice/risque doit être mûrement évaluée. Car cette activité suppose de disposer d’un espace attractif et de linéaires. Comme le pointe Serge Maarek, sans profondeur de gammes, pas de remises des laboratoires. C’est un frein pour les petites officines face aux grandes enseignes ou aux plateformes en ligne. En outre, le stock peut peser lourd sur les finances. « Une pharmacie qui fait 150 000 euros de chiffre d’affaires en parapharmacie a en moyenne 75 000 euros de stock. Toutes les officines ne peuvent pas se le permettre, » souligne Bastien Legrand, expert-comptable au cabinet. Un indicateur révélateur : « La rotation des produits : si elle n'est pas rapide, si le pharmacien se retrouve à gérer des périmés, et que sa trésorerie est immobilisée, l’offre n’est pas adaptée à la clientèle ».
La parapharmacie exige, par ailleurs, un personnel formé et disponible pour le conseil, surtout dans les segments haut de gamme comme la dermocosmétique. « Il faut au moins une ou deux personnes en plus sur la surface de vente, et pas juste des préparateurs », souligne Bastien Legrand. Dans les grandes structures, cette charge salariale peut être absorbée, grâce au grand nombre de passages en caisse. Mais « les plus petites ne peuvent pas consacrer du personnel à un rayon qui rapporte peu, avec un panier moyen de non remboursable à 15 euros ».
Changer de modèle économique pour se recentrer sur son cœur de métier, comme l’a fait Guillaume Kreuter, suppose donc de faire le ménage dans son rayon en accès libre. En commençant par renoncer à la vente de produits « plaisir ». Pour Jérémy Assayag, titulaire à Lyon, c’est d’ailleurs un gâchis de compétence de demander à des pharmaciens, dont le nombre au comptoir dépend du chiffre d’affaires, de vendre des crèmes de beauté ou des parfums. « Je n’ai pas fait six ans d’études pour ça ! », lance-t-il, se faisant l’écho de nombreux jeunes qui le contactent pour redonner du sens au métier. Leur question : par quoi remplacer la parapharmacie ?
Une piste : la fidélisation du patient chronique
L’officine du jeune titulaire lyonnais ne ressemble à aucune autre : pas de bacs promotionnels ou de linéaires, mais une salle d’attente, des chaises, un coin lecture et des plantes vertes. Un décor pour envoyer le message aux patients « ici, on ne vend pas, on accompagne et on prend le temps nécessaire » (lire son interview ci-contre), même s’il dispose de quelques produits non remboursables en back-office. Ils sont quatre titulaires à développer ce « modèle lyonnais », regroupés au sein du groupement « Origine, le réseau ». Ils reçoivent régulièrement la visite de pharmaciens intéressés.
Pour récupérer les 45 000 euros de marge moyenne perdus, il faudrait faire 4 500 entretiens à 10 euros
Bastien Legrand, FCC Experts-comptables & avocats
La première à l’avoir testé, Barbara Le Boënnec, s’est appuyée sur la thèse de Jean-Patrice Folco selon laquelle la rentabilité de l’officine repose sur les actes de dispensation. 90 % du chiffre d’affaires du réseau officinal provient du remboursable, 20 % des ordonnances apportent 80 % de la marge globale des médicaments remboursables. En s’assurant d’avoir en stock les médicaments des patients chroniques et en simplifiant les achats, elle a « augmenté sa marge globale hors remise de 34 % avec un chiffre d’affaires stable de 1,65 million d’euros », a-t-elle expliqué au Quotidien du Pharmacien (N° 3881). Les produits de TVA à 2,1 % sont passés de 76 % à 82 % en un an sans augmentation des volumes dispensés et ce malgré une baisse de fréquentation.
Ce modèle centré sur le patient chronique « demande des investissements dans les outils digitaux et un Customer relationship management (CRM) poussé pour alerter les patients lorsque leur ordonnance arrive à échéance et pour passer les commandes », confirme Emmanuel Leroy. « C'est un moyen de fidélisation efficace. » Quant à l’accompagnement thérapeutique des patients à travers les programmes de suivi des pathologies chroniques et des offres personnalisées de prévention, « ce sont des services qui permettent de créer de la valeur indépendante du prix des produits ».
Les « sans para » se réjouissent évidemment des nouvelles missions conventionnées : TROD, entretiens, bilans… Malgré une montée en puissance poussive, ces services bénéficient d’honoraires cumulables avec les ventes. Ils représentent, d’ailleurs, une part importante de la marge sur le remboursable, selon le cabinet Rydge Conseil : 47,4 %. Mais ces missions sont encore loin, de pouvoir compenser la disparition potentielle de la parapharmacie. « Pour récupérer les 45 000 euros de marge moyenne perdus, il faudrait faire 4 500 entretiens à 10 euros. » Ce n’est pour l’instant qu’un relais de croissance qui s’ajoute aux autres.
*Iqvia
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