À Mayotte, cinq semaines après Chido

La chaîne du médicament reste en flux très tendu

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Publié le 23/01/2025
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Plus de cinq semaines après le passage du cyclone Chido, les pharmaciens mahorais poursuivent leurs efforts quotidiens pour répondre aux besoins des patients. Les acteurs de la chaîne du médicament sont tous sur le pont. Mais malgré cet engagement, l’équilibre reste précaire. Le moindre raté pourrait entraîner une pénurie.

Les livreurs travaillent d’arrache pied pour éviter toute rupture, malgré la pénurie d’essence, malgré des axes de circulation parfois encore encombrés de débris

Les livreurs travaillent d’arrache pied pour éviter toute rupture, malgré la pénurie d’essence, malgré des axes de circulation parfois encore encombrés de débris
Crédit photo : DR

Plus d'un mois après le passage dévastateur du cyclone Chido sur Mayotte, le département français panse ses plaies. Tant bien que mal. La reconstruction a débuté et les professionnels de santé s’attellent à soigner les innombrables blessés. Outre le matériel, les dégâts laissés par la tempête sur les corps sont immenses. Les besoins en antibiotiques et antidiarrhéiques sont devenus « quinze fois supérieurs à la normale », d’après Frédéric Turlan, directeur général pharmacien responsable chez Copharmay, grossiste-répartiteur à Mayotte. Idem pour les pansements. Tous ces produits partent de la métropole et empruntent la mer ou les airs pour parvenir jusqu’aux Mahorais. « En temps normal, les officinaux passent commande 4 mois à l’avance lorsque la marchandise prend la mer et 2 mois lorsqu’elle passe par les airs. » Dès lors, difficile de répondre à l’urgence de la situation.

Un équilibre délicat

Si Pierre-Emmanuel Ancenys, titulaire de la pharmacie des Ylangs, à Kawéni, est jusqu'ici parvenu à répondre aux besoins de ses patients, le futur est incertain. La profondeur du stock, qui lui a permis de tenir entre deux livraisons, est « catastrophique » sur certaines spécialités. Les officines ne sont livrées qu’une seule fois par jour. Les cas de patients, adultes comme enfants, souffrant de diarrhées, parfois cholériformes, sont légion. Le pharmacien s’inquiète notamment de son stock de solutés de réhydratation orale. « Je vis sur mon stock. Les grossistes sont en rupture. Avec les quantités que l’on sort quotidiennement, on ne va pas pouvoir répondre à la demande durant des semaines. » Sur le mois de janvier 2024, il a dispensé 5 boîtes de Tiorfan 10 mg – la spécialité à destination des nourrissons -, cette année, il a enregistré la même quantité pour la seule journée du 15 janvier 2025. « J’ai sorti 33 boîtes d’antidiarrhéique en janvier 2024 et déjà 78 boîtes au 15 janvier, c'est-à-dire quatre fois plus » insiste le titulaire. Et de poursuivre sur le travail exceptionnel des grossistes répartiteurs mahorais et réunionnais, qui ne ménagent pas leurs efforts physiques et financiers pour assurer les livraisons. Malgré des modalités difficiles, des procédures complexes, l’absence de certains génériqueurs sur le territoire mahorais, réduisant encore l’offre, ce serait 2 000 boîtes d’antidiarrhéiques qui seraient en passe d’être envoyées depuis la Réunion et huit palettes d’antibiotiques sont parties le 7 janvier.

Une logistique nouvelle

Cependant, si les acteurs de la chaîne du médicament sont mobilisés, c’est à cause d’une logistique compliquée et inhabituelle que le bât blesse. « Le port fonctionne mais les importations ont explosé. Le cyclone a retardé l’arrivée de certaines marchandises et la crise a fait exploser les importations. Tout cela ralentit l’acheminement des médicaments et le moindre retard peut entraîner une pénurie et une perte de chance pour les patients », détaille le titulaire mahorais. S’il arrive à recevoir ses commandes, c’est en partie parce qu’il connaît personnellement un responsable logistique, des échanges entre les deux îles, ce qui lui permet d’ajouter une palette en dernière minute à un conteneur sur le départ. Les palettes d’antibiotiques envoyées en tout début d’année, devaient en fait partir… le 22 décembre. Un raté que Frédéric Turlan n'explique pas, mais impute à l’administration. La coordination entre les deux Agences régionales de Santé (ARS) et les deux préfectures insulaires n’est pas optimale, les infrastructures sont surchargées et les prix s’envolent. Pour le maritime parce que les produits de santé ayant transité par la Réunion avant d’arriver à Mayotte « paient deux fois l’octroi de mer -une taxe en vigueur dans certaines régions d’outre-mer françaises- à l’entrée à La Réunion et à nouveau à l’entrée de Mayotte », éclaircit M. Turlan.

« Les compagnies ne sont pas des philanthropes »

Pierre-Emmanuel Ancenys

Quant à l’avion, un trajet La Réunion-Mayotte coûte aujourd’hui deux fois plus cher qu’un trajet Paris Charles de Gaulle-la Réunion. Au 13 janvier, il n’y avait pas eu de vol commercial depuis 2 semaines. La demande pour le transport de personnes s’est effondrée. Les voyageurs qui passaient habituellement les fêtes hors de l’île n’en sont pas partis et n’ont donc pas besoin de revenir. Plus de transport de personnes vers Mayotte, donc mais en revanche les prix des vols de marchandises qui s’envolent. Un « profit d’aubaine » répréhensible par le code du commerce, que dénoncent Frédéric Turlan et Pierre-Emmanuel Ancenys. « Le fret aérien a désormais un coût exorbitant, les compagnies ne sont pas des philanthropes » commente avec amertume ce dernier. L’armée française a bien établi un pont d’urgence aérien pour approvisionner Mayotte. Mais pas à destination des officinaux. Les médicaments apportés par les militaires, sont uniquement à destination de l’hôpital et des structures publics. Un choix qui refléterait une volonté politique de sélectionner les personnes bénéficiant de ces médicaments, selon un acteur du terrain, qui explique que le cyclone est loin d’avoir fait diminuer les arrivées clandestines sur l’île. Dernier obstacle du transport aérien qui précarise l’accès aux médicaments des Mahorais : la localisation de l’aéroport, sur Petite-Terre. Les marchandises doivent emprunter un amphidrome, un bateau pouvant se déplacer indifféremment en avant ou en arrière, pour arriver à destination. L’île pouvait compter sur sept de ces navires, de différentes tailles et transportant des marchandises et/ou des personnes, avant Chido. Il n’en reste aujourd’hui plus que deux en état de fonctionner.

Arthur-Apollinaire Daum

Source : Le Quotidien du Pharmacien