Pour faire face aux tensions d’approvisionnement et aux ruptures de stock de médicaments, la France s’est dotée d’une deuxième feuille de route « pénuries » 2024-2027 qui lui permet de diversifier les signaux de détection et donne aux autorités les moyens de déclencher des mesures dérogatoires, exceptionnelles et temporaires.
« La première étape, quand on doit faire face à une nouvelle tension ou une nouvelle pénurie, est d’identifier d’où vient le problème. Il y a un vrai enjeu à avoir le signal assez tôt pour pouvoir mener les investigations le plus vite possible, explique Pierre-Olivier Farenq, directeur du CASAR (Centre d’appui aux situations d’urgence, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques) de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ce signal doit être qualifié. Le deuxième temps, c’est d’identifier les leviers d’action pour être le plus efficace et limiter au maximum l’impact en termes de couverture des besoins pour les patients, qui est la priorité. Tout l’enjeu de l’ANSM et des autorités sanitaires est de mettre en place les bonnes actions au bon moment pour répondre à la problématique. Or on a de plus en plus de tensions, qui sont de plus en plus complexes. »
De la dentelle
Lors des deux hivers précédents, les autorités ont expliqué les tensions sur les antibiotiques et notamment sur l’amoxicilline par une consommation plus forte que prévu dans un contexte de triple épidémie de grippe, Covid-19 et de bronchiolite. La cause de la pénurie actuelle de quétiapine provient d’un problème de production rencontré par un fabricant majeur en Grèce. « Le cas de l’amoxicilline lors des deux précédentes saisons hivernales et le sujet de la quétiapine n’ont rien à voir et il faut qu’on adapte les mesures de gestion. C’est quasiment faire de la dentelle », poursuit le représentant de l’ANSM.
Les autorités disposent ainsi de tout un arsenal de dispositifs : des leviers d’approvisionnement (dérogation ponctuelle de la réglementation du médicament, importations, préparations magistrales…), des leviers d’épargne (ordonnance de dispensation conditionnelle, limitation de dispensation, dispensation à l’unité…), etc. D’un point de vue purement juridique, certaines mesures sont dans le périmètre de l’ANSM, d’autres dans le périmètre de la direction générale de la santé (DGS). La dispensation à l’unité de la quétiapine a ainsi été décidée par arrêté signé par la DGS.
« Pour chaque cas, on a besoin de rentrer dans le détail pour identifier les bons leviers à activer. On a cette première phase très théorique en interne, mais tout est consulté et concerté avec le terrain. Pour s’assurer de l’efficacité du dispositif et que les professionnels de terrain adhèrent, il faut une phase de consultation en amont. Et nous, pour nous aiguiller et nous orienter dans nos prises de décisions, on a besoin d’avoir ce temps d’échange. Par exemple, quand on fait de la priorisation d’indications, on travaille avec les sociétés savantes. Quand on met en place une importation, il faut s’assurer que les médicaments importés “matchent” avec l’utilisation dans la vraie vie des patients. Si le problème vient de la production de la matière première, le réseau de sous-traitants ne pourra pas réaliser de préparation magistrale », énumère Pierre-Olivier Farenq.
Le « Plan hivernal » visant à gérer les éventuelles pénuries des médicaments majeurs de l’hiver s’accompagnait ainsi de réunions régulières entre autorités de santé et professionnels sur le terrain. « L’idée est d’avoir des antennes un peu partout », explique l’ANSM.
Aller plus vite ?
« L’ANSM prend les décisions avec un train de retard sur notre réalité de terrain, objecte Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission Métier pharmacien à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Cela fait plusieurs semaines qu’on leur dit qu’on n’a plus de sertraline. » « On est sensibilisé sur le fait qu’il faut aller vite pour que l’impact sur le patient et le pharmacien soit le plus faible », répond Pierre-Olivier Farenq. Mais « là où on est limité, c’est sur l’information. Quand on fait face à une tension, on est dépendant à 100 % des informations fournies par les industriels. Quand un industriel nous garantit pouvoir couvrir les besoins d’ici à 2 semaines, l’ANSM est obligée de prendre l’information pour argent comptant ». Et parfois les 2 semaines se transforment en 2 mois, et c’est autant de temps perdu. Quant à la sertraline, « on est sur cette phase d’analyse plus poussée, alors même qu’il y a déjà des mesures mises en place depuis fin janvier », rappelle Pierre-Olivier Farenq.
Les limites des tableaux d’équivalence
Avoir les mains un peu plus libres dans la gestion des pénuries au comptoir, c’est le souhait des pharmaciens qui attendent la possibilité de substituer une spécialité manquante par des alternatives sans que le patient n’ait à présenter une nouvelle ordonnance, à partir de recommandations d’équivalences réalisées au préalable par l’ANSM. Si l’agence émet des recommandations de remplacement au cours des pénuries (Rythmodan, quétiapine…), « en “temps de paix”, c’est plus complexe, explique Pierre-Olivier Farenq. Par exemple, quand on dit que le médicament A n’est pas disponible et qu’il faut basculer sur le médicament B, l’ANSM doit s’assurer que le médicament B peut couvrir le besoin des patients qui devront basculer, mais surtout que les patients qui ont déjà besoin du médicament B ne vont pas être impactés par la pénurie du médicament A. Par exemple pour la quétiapine, il y a certaines alternatives vers lesquelles on n’a pas réorienté parce qu’elles étaient aussi liées au site de production qui rencontre des difficultés. On est plus efficace quand on est en réactif, jusqu’à un certain point. »
La préparation magistrale, LA solution ?
Dans les mesures communes à la gestion de rupture d’amoxicilline, il y a deux ans, et de quétiapine aujourd’hui, la dispensation à l’unité et la préparation magistrale se sont démarquées. La dispensation à l’unité a bien des limites, et encore faut-il qu’il reste des boîtes. Quant à la préparation magistrale, elle est déjà autorisée. Un pharmacien peut proposer à son patient de remplacer une spécialité manquante par une préparation. Dans le cas des préparations magistrales de quétiapine, « l’ANSM vient cadrer le dispositif en mettant en place une monographie, en informant le réseau des pharmaciens sous-traitants sur la visibilité qu’on pourrait avoir sur le réapprovisionnement, en s’assurant que la matière première est conforme aux normes de qualité… On sécurise le dispositif », explique Pierre-Olivier Farenq.
« Il n’y a eu que deux fois où l’ANSM a sorti une recommandation mais en réalité, depuis 2 ans, on a presque une dizaine de molécules qu’on a dû gérer. On a effectivement géré l’amoxicilline et la quétiapine, mais on est en train de gérer la sertraline, on a géré la bétahistine, la Flécaïne, la clarithromycine…, raconte Fabien Bruno, titulaire de la pharmacie et du préparatoire Delpech, à Paris. Aujourd’hui le process est relativement bien rodé. »
Les 45 sous-traitants de préparation doivent alors absorber à chaque recommandation de l’ANSM une demande nationale et massive. Chez Delpech, « on ne met rien de côté, mais on galère », rapporte Fabien Bruno. Les sous-traitants répondent présents : « Au 9 mars, après 4 semaines de production, tous les sous-traitants ont fabriqué 1 556 029 gélules de quétiapine, aux dosages 50, 100 et 150 mg. Cela représente 20 220 préparations et 200 kg de quétiapine. »
La préparation serait-elle la solution aux ruptures ? Pour Fabien Bruno, c’est « oui » : « Si 10 % des pharmaciens étaient capables de produire, on n’aurait plus de problème de ruptures en France. On aurait des problèmes de prix, ça c’est sûr, car le prix des préparations est plus élevé que la spécialité, mais en termes de santé publique et de production, on aurait des solutions. Cela représente 20 pharmacies par département. » La vraie question, c’est alors le remboursement. « On aimerait une clarification et une prise en charge des préparations indispensables à la santé publique. On perd trop de temps avec les caisses à essayer de les convaincre de la pertinence des préparations », alerte Fabien Bruno.
Pour l’ANSM, « la préparation magistrale n’est pas LA solution mais c’est l’un des éléments de réponse pour lutter contre les pénuries quand la situation le permet. C’est un dispositif qui est en train de se mettre en place, un peu nouveau. Il permet d’être très réactif. »
Un dispositif visiblement intégré par les autorités administratives avec la quétiapine car, pour la première fois, les préparations magistrales sont encadrées par un prix de réalisation et par un prix de dispensation. Pour Lucie Bourdy-Dubois, « on a fait un grand, grand pas. »
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