Lors de la pandémie de Covid-19, les pharmaciens ont été autorisés par décret à prescrire et administrer les vaccins contre ce virus. Un second décret, daté du 21 avril 2022, a étendu la liste des vaccins que les pharmacies d’officine, mutualistes et de secours minières, étaient autorisées à administrer. Parmi ces vaccins figurent : la grippe, la rage, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, les papillomavirus humains, le pneumocoque, les hépatites (A et B) et les méningocoques (A, B, C, Y et W). Autant de vaccins qui, comme de nombreux autres produits de santé thermosensibles (PST), doivent être conservés dans des conditions spécifiques.
Une conservation entre 2 °C et 8 °
Le pharmacien est garant du respect de la chaîne du froid, depuis la réception de la livraison du fournisseur jusqu’à la dispensation au patient. Cependant, « il n'y a pas de décret aujourd'hui à ce sujet pour le contraindre à s'équiper de façon plus professionnelle », explique François-Xavier Crozet, directeur général de Rubex Pharma, une PME industrielle spécialisée dans la fabrication et la distribution d’équipements dédiés aux pharmacies d’officine. En la matière, si le Code de la santé publique stipule que le pharmacien « veille à ce que les conditions de transport garantissent la bonne conservation, l’intégrité et la sécurité de ces médicaments… », ce sont les recommandations de l’Ordre national des pharmaciens (CNOP) datant de 2009, intitulées « Recommandations de gestion des produits de santé soumis à la chaîne du froid entre +2 et +8 °C à l’officine », ainsi que celles de l’ARS, qui font foi.
La règle est claire : les produits thermosensibles doivent être conservés à une température située entre +2 et +8 °C à tout moment et en tout point du volume utile. Le CNOP invite, en outre, les pharmaciens à s’équiper d’enceintes thermostatiques adaptées pour garantir un stockage dans de bonnes conditions. Cela implique : un système de ventilation efficace, un volume utile de rangement en adéquation avec les volumes stockés, un espace bien éclairé et conçu avec des matériaux résistants aux produits d’entretien, un dégivrage automatique, un système autonome et indépendant d’alarme, avec mise en place au minimum de deux capteurs positionnés aux points critiques du volume utile – soit le point le plus chaud et le point le plus froid.
Exit le réfrigérateur ménager
Qu’en est-il sur le terrain ? « Même si cela est de moins en moins fréquent, les réfrigérateurs ménagers ou de restauration sont encore utilisés dans certaines officines », déplore François-Xavier Crozet. Or ces appareils ne sont pas adaptés pour garantir l’exigence d’une température stable entre 2 et 8 °C sur l’ensemble du volume de stockage. « Le mode de ventilation constitue le principal critère de qualification d’une armoire réfrigérée professionnelle. L’air froid doit être diffusé de façon homogène dans tout le volume, de haut en bas. Selon les recommandations, les relevés de température doivent être effectués en position haute et en position basse, et leurs résultats doivent être identiques », détaille François-Xavier Crozet. De fait, avec un appareil ménager, l’écart entre partie basse et partie haute peut varier de 0 à 6 °C, selon l’UFC Que Choisir. Le mercure peut même grimper jusqu’à 10 °C dans la porte du réfrigérateur.
Prendre la température : une constante
Le froid ventilé des armoires réfrigérées professionnelles est assuré par une paroi située à l'arrière de l’appareil, qui produit un cycle d’air frais. Ces appareils sont également équipés de parois anticongélation dans l’enceinte thermostatique pour préserver les médicaments en cas de contact avec les parois, généralement plus froides et sources d’humidité. La cartographie constitue un autre critère essentiel pour évaluer l’efficacité d’un équipement. Réalisée par les fabricants, cette mesure, effectuée sur un équipement neuf, consiste à relever la température en neuf points répartis dans l’armoire thermostatique pendant 24 heures pour garantir que la courbe est homogène et bien située entre la fourchette réglementaire. En outre, des sécurités anticongélation mesurent en continu et coupent l’alimentation du compresseur – une pompe qui comprime le fluide frigorigène pour évacuer la chaleur – afin de stabiliser la température si celle-ci vient à descendre en dessous de 2 °C.
Concernant le volume utile de rangement, « il est préférable de disposer de deux armoires réfrigérées a minima », estime François-Xavier Crozet. La première doit, dans l’idéal, avoir une porte vitrée de manière à visualiser les médicaments thermosensibles à sortir avant et limiter ainsi le temps d’ouverture de la porte. La seconde est dédiée au stockage sur le plus long terme ou à l’anticipation d’augmentations ponctuelles de volumes, liées, par exemple, à des campagnes de vaccination. Elle peut également venir en secours en cas de panne. À noter que, pour respecter la chaîne du froid en cas de coupure de courant ou de variations de tension, les équipementiers développent des onduleurs capables de maintenir l’alimentation du matériel électrique critique pendant plusieurs heures.
Il convient aussi de contrôler le maintien d’une température adéquate en continu et d’être en mesure d’intervenir en cas d’anomalie. « Les ARS sont pointilleuses sur le sujet. Il faut que chaque enceinte réfrigérée soit équipée d’enregistreurs de température, et c’est loin d’être le cas dans toutes les pharmacies », fait remarquer, François-Xavier Crozet. Pourtant, ces données sont capitales si l'armoire venait à tomber en panne : « Les assurances exigent les relevés de température dans le cadre d’une prise en charge. »
Des relevés en continu
Il existe plusieurs types d’enregistreurs. Certains nécessitent des relevés et des saisies manuels, et demandent donc un suivi plus contraignant de la part du pharmacien. « Son métier n’est pas de vérifier des températures », fait remarquer Adrien Content, dirigeant de Koovea, entreprise qui développe une solution tout-en-un. C’est pourquoi les équipementiers tentent de rendre leurs appareils les plus autonomes possible pour faciliter la tâche aux professionnels de santé. Ainsi, les plus modernes des enregistreurs prévoient deux points de mesure (à placer en haut et en bas de l’armoire) qui recueillent et surveillent à distance les données et sont paramétrés pour alerter le pharmacien via e-mail ou SMS si la température est en dessous ou au-dessus des seuils requis ou lorsque des taux d’humidité trop élevés sont enregistrés. Le Testo Saveris 2-T2, par exemple, transmet automatiquement les données vers un cloud via des réseaux Wifi, où elles sont enregistrées et peuvent être consultées à tout moment depuis un smartphone, une tablette ou un ordinateur.
Chez Liebherr, les armoires réfrigérées peuvent être équipées d’un module Wi-Fi qui, après achat d’une licence « Liebherr Internet Connecté », opère un suivi intelligent des conditions de conservation des produits. Cette offre embarque également plusieurs niveaux d’alerte par e-mail, SMS et/ou téléphone.
Toutefois, le wifi présente une limite, prévient Adrien Content : « En cas de coupure internet, le système ne fonctionne plus. » Les équipementiers semblent avoir trouvé la parade. Le capteur de Koovea repose sur trois éléments : un capteur autonome (TAG) qui mesure la température et communique en Bluetooth, un hub qui collecte les données des capteurs via la carte SIM, et une plateforme web et mobile pour le suivi en temps réel. Les données transitent via un routeur cellulaire multi-opérateur, fonctionnant sur les réseaux 2 G, 3 G, 4 G pour limiter le risque de coupure. « Quel que soit l'endroit où se trouve l’appareil, il va trouver un opérateur », assure Luis Dos Santos, responsable commercial chez AJPL Pharma. Au-delà du respect de la chaîne du froid, tout l’enjeu consiste à limiter les sollicitations. « Le pharmacien se connecte rarement à notre portail, sauf s'il souhaite analyser un comportement ou des fluctuations. Nous configurons les alertes par rapport aux seuils températures définis. Mais s'il y a de légères fluctuations correspondant aux ouvertures et fermetures de porte, nous les ignorons et n’envoyons pas d’alerte », précise Adrien Content.
Contrôle qualité à l’arrivée
À noter que, pour un respect complet de la chaîne du froid, Koovea déploie également ses solutions chez les transporteurs de produits de santé comme Eurotranspharma. L’étape du transport est cruciale pour le pharmacien, car une fois la commande de médicaments validée et réceptionnée, il en devient responsable. « Nous essayons d'attirer leur attention sur la prise de température à réception, qui est régulièrement négligée. Or, en cas d’incident, le professionnel peut recevoir un blâme ou être rappelé à l’ordre pour non-respect de sa déontologie. S’il y a un accident grave, sa responsabilité pénale peut être engagée », prévient François-Xavier Crozet. Il est donc préférable de bien contrôler la commande à l’arrivée.
Pour ce faire, il existe plusieurs outils, tels que les thermomètres à visée laser ou infrarouge. Luis Dos Santos se montre toutefois sceptique quant à leur précision. « Nous avons toujours refusé de les commercialiser à cause de mauvaises expériences passées. Lors de tests, nous avons relevé des écarts significatifs lorsque la température était mesurée à 5 ou 10 cm, ou selon que la surface de la boîte était noire ou blanche. » Certains thermomètres sont effectivement plus précis, mais aussi bien plus coûteux que les modèles laser vendus entre 60 et 150 euros. « Je vois mal un pharmacien investir dans un appareil laser à 1 500 euros », suppose-t-il.
Derniers kilomètres
Alors, que faire ? Le pharmacien peut s’en remettre au professionnalisme de son répartiteur et, si nécessaire, se référer aux données des capteurs. Le CNOP recommande d’ailleurs de sélectionner les fournisseurs en fonction de leurs engagements concernant le respect de la chaîne du froid.
Il est également préférable de recevoir les produits de santé thermosensibles (PST) pendant les horaires d’ouverture de l’officine, afin de limiter les délais de prise en charge et de réduire le temps où les PST restent en dehors d’une enceinte thermostatique.
Lors de la dispensation, le temps d’exposition des PST à une température non conforme doit être réduit au minimum. Les pharmaciens doivent aussi sensibiliser les patients au transport sécurisé des médicaments, notamment en les informant des limites des pochettes isothermes. Bien que pratiques, ces dernières peuvent se révéler inefficaces et induire une fausse impression de sécurité, diminuant ainsi la vigilance du patient.
Un accompagnement sur mesure
« L’accompagnement, c’est d’abord conseiller les pharmaciens dans leurs choix. Nous avons une personne dédiée pour le paramétrage, surtout pour les professionnels de santé qui ne sont pas technophiles. Nous les aidons à prendre en main les outils et restons disponibles sur le long terme via notre SAV », explique François Xavier. Chez Koovea, l’approche est assez similaire. « Nous soutenons les pharmaciens pas à pas grâce à des formations, des conseillers et un service client réactif. Contrairement aux systèmes complexes vendus sans suivi, nous avons opté pour un modèle basé sur l’abonnement. » Cela inclut mises à jour, réétalonnage annuel des capteurs et remplacement des anciens capteurs avec certificats d’étalonnage, le tout directement géré par les équipes de l’entreprise.
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