La suppression de la Première année commune aux études de santé (PACES) et celle du numerus clausus, à la rentrée 2020, ont fait une victime collatérale et inattendue. La pharmacie n’est pas sortie gagnante de cette réforme, aussi ambitieuse que complexe, et personne aujourd’hui ne viendra contredire ce constat. En une phrase, tirée de son rapport sur l’accès aux études de santé publié le 11 décembre, la Cour des comptes résume comment et pourquoi la pharmacie a fait les frais de ces récents changements. « La réforme, qui augmente significativement le nombre de places offertes en médecine, conduit à un effet de siphonnage des étudiants en pharmacie et en maïeutique aggravé localement par la mise en œuvre différenciée des modalités de sélection. » Une affirmation prouvée par les chiffres. Parmi les étudiants en PASS et LAS, les deux nouvelles voies d’accès aux études de santé instaurées par la réforme, seulement 7 % font de la pharmacie leur premier choix alors que la médecine constitue l’option privilégiée pour 66 % des inscrits. Conséquence concrète et cruelle pour la profession : 1 100 places vacantes en deuxième année de pharmacie en 2022, 471 l’année suivante et encore 293 étudiants manquants lors de la dernière rentrée. Au total (sans compter les abandons ou réorientations), ce sont donc près de 1 900 futurs pharmaciens perdus à tout jamais. Du sang frais qui aurait pourtant été bienvenu alors que l’on déplore déjà une diminution progressive du nombre des inscrits au tableau de l’ordre depuis 2016.
Pour les Sages de la Cour des comptes, rectifier la réforme de l’accès aux études de santé est aujourd’hui indispensable. Pilotage « insuffisant » de la part de l'État, déploiement « hétérogène » avec « autant de déclinaisons que d'universités », système globalement trop « complexe et difficilement lisible »… Autant de facteurs qui expliquent pourquoi de nombreux objectifs n’ont pas été atteints. « La réforme n’a pas permis d’enrayer le départ d’étudiants français vers l’étranger pour se former aux études de santé », ne peut que constater la Cour des comptes. En effet, selon un sondage réalisé pour alimenter ce rapport, « environ 10 % des étudiants n’ayant pas accédé aux formations MMOP* poursuivent des études de médecine, d’odontologie, de pharmacie ou de maïeutique à l’étranger, principalement en Espagne, Roumanie, Belgique et au Portugal ». Par ailleurs, l’extrême complexité du système PASS LAS, que le rapport conseille tout simplement d’abandonner au profit d’une voie unique d’accès à l’horizon 2026, « démultiplie les parcours possibles pour les étudiants, favorise les stratégies de contournement (et) crée une inégalité d’accès entre les étudiants selon leurs choix initiaux » concluent les Sages. Ces derniers insistent également sur l’importance de développer « une offre territoriale de formations délocalisées donnant accès aux études de santé », pour permettre à davantage de jeunes issus de milieux ruraux ou défavorisés de les intégrer.
Pour la Cour des comptes, l’extrême complexité du système PASS LAS démultiplie les parcours possibles pour les étudiants et favorise les stratégies de contournement
En plus de ces préconisations générales, les experts de la Cour des comptes ont donc décidé d’accorder une attention particulière à la filière pharmacie. Avec une proposition choc, qui permettrait un changement important de modèle si elle était appliquée : « Expérimenter, sur un panel d’universités, un accès direct en pharmacie (et en maïeutique) pour un contingent d’élèves sélectionnés sur Parcoursup, en complément d’un accès classique via la première année d’études de santé pour le contingent restant. » Pour la Cour, cette nouveauté doit être mise en place d’urgence, dès la prochaine rentrée, en septembre 2025.
La pharmacie : encore trop souvent un choix par défaut
Permettre à des lycéens d’effectuer une première année de pharmacie dès l’obtention du bac n’est pas une idée nouvelle. Elle a été relancée récemment par la Conférence des doyens de pharmacie (voir page 5) et s’inspire de ce qui était en vigueur avant 2010, année de naissance de la PACES, soit une première année essentiellement théorique et sanctionnée par un concours spécifique à la pharmacie. « Lorsque j’étais étudiant à Toulouse, il y avait 100 places par an en pharmacie pour 800 candidats », se remémore Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques (FSPF). « À Dijon, il y avait 55 élus pour 300 candidats », abonde Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats pharmaceutiques de France (USPO). Il n’y avait, alors, aucun problème de places vacantes.
Pour les deux présidents syndicaux, la perspective d’un accès direct à la pharmacie après le bac est donc accueillie plus que favorablement. « C'est une excellente idée, estime Philippe Besset. La France est quand même l’un des seuls pays au monde où l'on ne propose pas aux jeunes de choisir la pharmacie à la sortie du bac. C'est une perte de visibilité énorme pour notre profession. C'est justement parce qu'il y a cette première année commune que certains étudiants ne choisissent pas notre filière », analyse-t-il. Un avis partagé par Pierre-Olivier Variot, qui effectue un lien direct entre le système actuel et la désaffection dont la pharmacie fait aujourd’hui l’objet. « Nous avons des étudiants qui vont en pharmacie parce qu'ils n'ont pas été suffisamment bien classés pour aller en médecine. En fait, on a créé un modèle qui permet avant tout d’offrir une voie à tous les recalés de médecine et je ne peux pas être en accord avec cela. »
Le veto des étudiants
D’autant plus que le cliché consistant à toujours voir la pharmacie comme une voie de garage a encore la peau dure au sein des universités. « J'ai reçu une stagiaire l'an dernier qui s’est classée première au concours de pharmacie et troisième en médecine. Par choix, elle a décidé d'aller en pharmacie. Le doyen de son université a essayé de l'en dissuader en lui disant que ce serait mieux pour elle d'aller en médecine », se désole le président de l’USPO. Le rapport de la Cour des comptes pointe également du doigt le fait que la pharmacie reste encore trop souvent un choix par défaut, phénomène que la réforme n’a en rien contribué à changer. « En aval de la sélection, un manque de motivation et une plus faible réussite des étudiants sont observés par les doyens de pharmacie avec un nombre important de demandes de passerelles vers la médecine et l’odontologie et des abandons d’études. Ainsi, alors que 3 518 étudiants étaient inscrits en deuxième année de pharmacie en 2021, ils ne sont plus que 3 019 en troisième année en 2022, soit une diminution de près de 500 étudiants inscrits, essentiellement due aux nombreux redoublements. » En tout, 19 % des inscrits en deuxième année de pharmacie en 2021-2022 étaient redoublants l’année suivante.
Ces données tendent donc à appuyer l’idée d’un retour à un accès aux études de pharmacie dès la fin du lycée. Une optique qui suscite toutefois une vive opposition, celle des fédérations d’étudiants en santé. « La proposition d’une voie directe et spécifique pour ces deux filières (pharmacie et maïeutique) doit inquiéter, estime notamment l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). 55 % des étudiants en pharmacie et 47 % des étudiants en sage-femme n’auraient pas choisi ces filières si leur décision avait été prise à la fin du lycée. Une voie commune permet une poursuite d’études avec un socle de connaissances solide, en construisant son projet d’orientation au fur et à mesure de son parcours ». Pour le porte-parole de l’ANEPF, Valentin Masseron, hors de question de revenir à des études « cloisonnées » avec des futurs pharmaciens séparés des autres étudiants, à l’heure de l’interprofessionnalité. « Une première année commune permet de réfléchir à son projet, nous pensons au contraire qu’il faut laisser plus de temps à l'étudiant pour qu’il fasse ses choix de carrière », soutient également l’étudiant.
Améliorer la visibilité de la filière avant tout
Représentants des pharmaciens en exercice et des étudiants sont néanmoins d’accord sur un autre point. « Si on expérimentait cette solution dans quelques universités seulement, cela serait difficilement compréhensible et on risquerait d'assister à des déplacements d'étudiants, qui choisiraient telle ou telle faculté dans une région peut-être différente de la leur. Ce n'est pas souhaitable », avertit Valentin Masseron. « Si cette idée est retenue, il faut la généraliser tout de suite », pense aussi Philippe Besset. Le président de la FSPF n’est cependant pas très confiant sur les chances de réussite de cette initiative. « Je suis même très pessimiste », reconnaît-il. « Pas sûr qu’Emmanuel Macron et le gouvernement soient prêts à changer d’avis sur la réforme de la PACES », admet également Pierre-Olivier Variot. « Il faut surtout améliorer la visibilité de la filière, beaucoup de projets ont été menés en ce sens mais je pense que l’on peut aller encore un peu plus loin en termes de communication, affirme de son côté Valentin Masseron. Il faut que l’on arrive à faire rêver les gens avec la pharmacie. La médecine a su le faire, notamment grâce à des films ou des séries TV ». Une version de « Grey’s Anatomy » à la sauce pharmacie d’officine ? L’idée peut paraître saugrenue mais elle ferait sans doute naître des vocations.
*Maïeutique, médecine, odontologie et pharmacie
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