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Entretiens courts opioïdes : c’est le moment de se lancer

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Publié le 16/01/2025
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Inscrits dans l’avenant n° 1 à la convention nationale pharmaceutique signée en juin 2024, les accompagnements opioïdes sont lancés depuis le 8 janvier. Ils concernent les traitements antalgiques au long cours et s’effectuent à un moment précis du traitement. Cible, objectifs et déroulé de l’entretien, mode de facturation : comment s’approprier cette nouvelle mission ?

Le pharmacien doit être également attentif à certaines associations médicamenteuses comme le tramadol et les triptans ou les antidépresseurs de type ISRS et IRSNA en raison d’effets sérotoninergiques majorés

Le pharmacien doit être également attentif à certaines associations médicamenteuses comme le tramadol et les triptans ou les antidépresseurs de type ISRS et IRSNA en raison d’effets sérotoninergiques majorés
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Pour prévenir et limiter la dépendance aux antalgiques opioïdes, qui entraîne fréquemment un risque de symptômes de sevrage en cas d'arrêt brutal ou trop rapide des prises, l’assurance-maladie et les syndicats de pharmaciens ont convenu d’intégrer un accompagnement des patients sous traitement antalgique de palier II dans l’avenant n° 1 à la convention pharmaceutique, finalement signé le 10 juin par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) seule. Cette nouvelle mission peut être proposée dans toutes les officines depuis le 8 janvier.

L’accompagnement se présente sous la forme d’un entretien court (5 minutes) réalisé lors du premier renouvellement de tramadol, de poudre d’opium, de codéine ou de dihydrocodéine. La nalbuphine est également citée.

Pourquoi au premier renouvellement ? « L’objectif étant de mesurer le degré de dépendance du patient, il est alors nécessaire que cet entretien ne soit pas réalisé lors de la première délivrance mais à partir de la deuxième délivrance », justifie l’assurance-maladie. Sont éligibles les patients sous opioïdes antalgiques de pallier II de plus de 18 ans ayant bénéficié de la première délivrance dans les douze mois précédents. Selon les autorités de santé, 5 % de 5,8 millions de patients sont concernés.

Le questionnaire POMI au centre de l’entretien

L’entretien est mené par un pharmacien qui, selon l’avenant conventionnel, doit disposer d’un espace de confidentialité. Mais pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), l’entretien n’est pas nécessairement réalisé dans cet espace. « Pour moi, l’entretien peut se faire au comptoir. C’est un entretien court, à l’instar de l’entretien pour les femmes enceintes. Mais dans certains cas, il sera sans doute préférable de le mener dans l’espace de confidentialité », estime Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Pas d’obligation de formation spécifique non plus. « Le pharmacien doit veiller à ce que ses connaissances sur ce sujet soient à jour de manière à répondre au mieux aux besoins de ces patients », demande seulement l’avenant conventionnel.

En pratique, au cours de l’entretien, il convient de :

- Rappeler les risques liés aux médicaments opioïdes, notamment en cas de prise prolongée : mésusage et/ou risque d’addiction avec impossibilité d’arrêter la consommation, assortie d’un besoin impérieux de consommer la substance. Par ailleurs, les opioïdes sont à l’origine d’autres effets indésirables : troubles digestifs (constipation atténuée par des mesures hygiénodiététiques associées à un traitement laxatif souvent nécessaire en cas de traitement chronique ; nausées, en particulier en début de traitement, limitées par un antiémétique), rétention urinaire, prurit, tremblements, clonies, confusion, troubles de la vigilance (attention lors de la conduite), troubles dyspeptiques, risque de convulsions et de dépression respiratoire pouvant mettre en jeu le pronostic vital ;

- Rappeler les règles de bon usage : respecter la prescription (doses, espacement entre les doses, voie d’administration, durée du traitement) et prendre la dose minimale efficace ; ne pas stocker dans son armoire à pharmacie et rapporter les doses non utilisées en pharmacie ; ne pas conseiller son traitement à une autre personne, etc. ;

- Alerter sur certaines associations médicamenteuses : tramadol et triptans ou antidépresseurs de type ISRS et IRSNA (effet sérotoninergique majoré) ; opioïdes et alcool (majore le risque de coma et de dépression respiratoire) ; prise supplémentaire de paracétamol avec les associations opioïdes/paracétamol pouvant conduire à une toxicité hépatique ; dans un contexte de dépendance à la codéine, l’association codéine/ibuprofène peut être à l'origine d'atteintes rénales, gastro-intestinales et métaboliques graves, d'évolution parfois fatale, etc.

L’objectif principal de l’entretien est de réaliser le questionnaire POMI (Prescription opioid misuse index, voir encadré) visant à évaluer le risque de dépendance. Une réponse positive à au moins deux questions suggère un risque actuel de mésusage. Pour mener l’entretien, le pharmacien doit obligatoirement utiliser les supports élaborés par l’assurance-maladie : une fiche entretien, à compléter, et une fiche mémo sont mises à disposition sur ameli.fr.

Traçabilité et actions

La fiche entretien complétée par le pharmacien est à archiver dans le dossier médical partagé (DMP) du patient et à envoyer au médecin traitant par messagerie sécurisée de santé (MSS). « Je conseille vivement aux pharmaciens de mettre en place la procédure de validation avec la carte CPS pour interroger amelipro car, quand on se connecte de manière sécurisée, on a accès au nom du médecin traitant », suggère Philippe Besset, président de la FSPF. Le pharmacien conserve une copie de la fiche entretien sous format électronique qu’il tient à disposition du service du contrôle médical de l'assurance-maladie. La suite dépend du résultat du questionnaire POMI.

Si le pharmacien suspecte un surdosage (questionnaire POMI ≥ 2), il alerte le prescripteur et le médecin traitant via MSS, sauf opposition du patient. « Une attention particulière sera portée si le patient a plusieurs prescripteurs différents pour ces traitements antalgiques », ajoute l’avenant conventionnel. « Si le traitement est poursuivi pendant plusieurs mois, le pharmacien devra redoubler de vigilance lors des délivrances suivantes, notamment en fonction de ses conclusions à l’issue de l’entretien », explique aussi l’assurance-maladie. « Le passage à la dépendance se fait très rapidement. Globalement, c’est dans le premier mois que tout se joue. Mais pour les traitements chroniques, s’il ne faut pas forcément effectuer l’entretien à chaque renouvellement, il faudra rappeler au patient les dangers de la dépendance », explique Pierre-Olivier Variot.

Un code acte « EPA » à 5 euros

Pour tout ce travail le pharmacien facture lors du premier renouvellement de traitement, le code acte « EPA » au tarif de 5 euros TTC, majoré d’un coefficient 1,05 dans les départements et les collectivités d’Outre-mer. Sur la facture, le pharmacien renseigne son numéro d’identification dans la zone prescripteur et dans la zone exécutant, ainsi que la date de réalisation de l’entretien comme date d’exécution. L’entretien est pris en charge à 70 % par l’assurance-maladie, voire 100 % selon la situation du patient. Attention, le code acte doit être facturé seul, « c’est-à-dire indépendamment de toute autre facturation (médicaments, LPP…) », insiste l’assurance-maladie. Un seul entretien est réalisé par patient sur une période de 12 mois.

Pour autant, la lutte contre la dépendance aux opioïdes n’en reste pas là. En plus de ces entretiens spécifiques et de l’obligation d’une ordonnance sécurisée pour le tramadol et la codéine à partir du 1er mars, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) travaille actuellement à la mise en place de pictogrammes et/ou de mentions particulières à placer sur les boîtes de médicaments opioïdes.

Le questionnaire POMI

Adaptée à la France, l’échelle POMI (Prescription opioid misuse index) est un outil simple pour détecter un trouble de l’usage des opioïdes, validé par la Haute Autorité de santé (HAS). Elle comporte 5 questions auxquelles le patient répond par oui ou par non :

- Avez-vous déjà pris ce/ces médicament(s) antidouleur en quantité PLUS importante, c’est-à-dire une quantité plus élevée que celle qui vous a été prescrite ?

- Avez-vous déjà pris ce/ces médicament(s) antidouleur plus souvent que prescrit(s) sur votre ordonnance, c’est-à-dire de réduire le délai entre deux prises ?

- Avez-vous déjà eu besoin de faire renouveler votre ordonnance de ce/ces médicament(s) antidouleur plus tôt que prévu ?

- Un médecin vous a-t-il déjà dit que vous preniez trop de ce/ces médicament(s) antidouleur ?

- Avez-vous déjà eu la sensation de planer ou ressenti un effet stimulant après avoir pris ce/ces médicament(s) antidouleur ?

Deux réponses positives ou plus suggèrent un risque actuel de mésusage. Le médecin traitant et le prescripteur doivent être alertés.

Surdose d’opioïdes et intérêt de la naloxone

Les patients traités par des antalgiques opioïdes sont à risque de surdose, lors de l’initiation notamment, ou en cas de mésusage du traitement ou de dépendance.

Les signes d’une surdose d’opioïdes sont une combinaison de symptômes avec myosis, inconscience et dépression respiratoire qui peut aller jusqu’à l’arrêt respiratoire et au décès.

La première chose à faire est d’appeler rapidement le SAMU via le 15 après avoir protégé la personne. Pour éviter le décès dans l'attente de l’arrivée des services de secours, une première dose de naloxone, antidote des opioïdes, est à administrer. Un kit prêt à l’emploi (Prenoxad, Nyxoïd) est disponible en pharmacie. Une deuxième dose de naloxone doit être administrée 2 à 3 minutes plus tard en l'absence d'amélioration, ou pour prolonger l'effet antidote de la naloxone si les secours ne sont pas arrivés.

A.-H. C.

Anne-Hélène Collin

Source : Le Quotidien du Pharmacien