Une lecture difficile, voire en trompe-l’œil. C’est la mise en garde émise par David Syr, directeur général du GERS DATA, à la présentation de la rétrospective 2024. Car la bonne santé apparente de l’économie officinale qui a enregistré entre 2020 et 2024, une croissance de 29 % du chiffre d’affaires réalisé par le réseau (soit 10 milliards d’euros) à 46,2 milliards d’euros ne peut occulter des failles. Non seulement cette dynamique ne suffit pas à préserver la marge officinale et la trésorerie, mais elle émet elle aussi des signes d’effritement. Car facteurs conjoncturels et structurels contribuent à fragiliser un marché qui peine à rebondir sur de nouvelles trajectoires. Tributaire à 71 % du médicament remboursable, l’économie officinale a ainsi eu à souffrir -une nouvelle fois- des baisses de prix qui, en 2024, ont atteint un niveau record. Alors que l’objectif de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024 était d’atteindre des baisses de prix à hauteur de 850 millions d’euros, 1,358 milliard d’euros d’économie a en réalité été atteint en ville et à l’hôpital, comme le révèle le GERS DATA dans ses indicateurs clés de l’année écoulée.
1 469 spécialités visées par des baisses de prix
L’impact de la baisse des prix du médicament n’échappe pas à la rétrospective établie par le GERS DATA pour l’année 2024. « L’année dernière a été marquée par des baisses de prix extrêmement importantes et nombreuses. Il y a eu deux fois plus de publications au « Journal officiel » qu’en 2023 », relève Patrick Oscar, délégué général du GIE GERS. Aucune surprise donc, au cours de l’année dernière, la pression sur les prix s’est, plus que jamais, fait ressentir sur l’économie officinale. Car au lieu des 850 millions d’euros de baisses de prix prévues à la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024, ce sont finalement des baisses de l’ordre de 1,358 milliard d’euros qui ont été réalisées, soit près de 60 % de plus qu’initialement ciblé, cet impact touchant à la fois l’hôpital et la ville.
Comme le constate GERS DATA, sur ce 1,358 milliard d’euros d’économies ainsi réalisées par l’assurance-maladie, 830 millions d’euros ont été ponctionnés sur le prix du médicament de ville (PFHT). Cela se traduit par 856 millions d’euros d’économie pour l’assurance-maladie en tenant compte des différents taux de remboursement. 1 469 spécialités au total ont été visées par ces baisses de prix. Pour un tiers d’entre elles, leur prix qui se situe entre 1,92 euro et 22,90 euros a subi un recul de 10,8 points. Près d’un quart des médicaments ont vu leur prix (de 22,91 euros à 150 euros) diminué de 10 %. En ville, les médicaments hors répertoire sont les plus contributeurs car les baisses de prix dont ils ont fait l’objet représentent 718,6 millions d’euros. Les génériques ne participent à l’effort qu’à hauteur de 21 millions d’euros en termes de baisses de prix, les princeps pour près de 111 millions d’euros. Parmi les classes les plus touchées, les antinéoplasiques, inhibiteurs des protéines kinases (125 millions d’euros), les facteurs VIII, substituts inclus (92 millions d’euros), les inhibiteurs des interleukines (73 millions d’euros dont une décote de Stelara et ses biosimilaires commercialisés dès 07/2024 ainsi qu’une décote de Roactemra), les modulateurs du régulateur de la conductance transmembranaire de la fibrose kystique – comme Kaftrio et Kalydeco dans le traitement de la mucoviscidose - (59 millions d’euros) et enfin les antiviraux VIH (31 millions d’euros).
Le poids de la convention médicale
Un état des lieux qui n’augure aucune embellie pour l’officine de 2025, les baisses de prix du médicament prévues au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, tel qu’il a été présenté en octobre, atteignant un milliard d’euros pour le médicament et 200 millions d’euros pour les dispositifs médicaux.
Mais les coups de rabot sur les prix des médicaments ne sont pas les seuls responsables des difficultés économiques éprouvées par le réseau pharmaceutique. D’année en année, les volumes restent « flat ». Ainsi, les ventes à l’unité ne progressent que de 0,4 % en 2024 alors que le chiffre d’affaires – tous segments confondus- augmente de 4,8 % entre 2023 et 2024 à 46,2 milliards d’euros. Pour les médicaments de prescription obligatoire, l’écart reste quasi identique entre une progression du chiffre d’affaires de 5,5 % face à une évolution de 0,7 % des volumes dispensés.
Ce tassement des volumes de ventes et la stagnation des volumes de rémunération à l’honoraire qui en découle sont d’autant plus à craindre que la convention médicale, signée en juin dernier, fixe des objectifs en matière de prescriptions pour les années à venir. Dans le cadre de l’antibiorésistance, le volume d’antibiotiques prescrits doit diminuer de 10 % dès cette année et de 25 % dans deux ans. À titre indicatif, 107 millions d’unités ont été dispensées en 2024. De même, dès cette année, les volumes remboursés d’antalgiques de palier 2 devront baisser de 10 % (84 millions d’unités en 2024). Enfin, les prescriptions d’IPP (80,7 millions d’unités) chez l’adulte devront reculer de 20 % et devront se limiter, chez l’enfant, aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS).
Conjuguer chiffre d’affaires et marge
Dans ces conditions, l’économie officinale doit-elle continuer de surfer sur la vague des médicaments chers (prix supérieur ou égale à 1930 euros), qui correspondent à 0,1 % des volumes de la prescription médicale obligatoire mais contribuent pour 23 % au chiffre d’affaires de ce segment ? « En deux ans, leur prix moyen est passé de 3 800 euros à 4 600 euros. Quant aux médicaments dont le prix est compris entre 468,97 et 1 930 euros, ils constituent 42 % du chiffre d’affaires en prescription médicale obligatoire mais seulement 0,4 % des volumes vendus », relève David Syr, ajoutant que dans cette catégorie de produits, le prix moyen est passé de 1 231 euros en 2022 à 1 519 euros, aujourd’hui.
Une dynamique sur le prix qui n’est pas sans incidence. Car, comme le souligne le directeur général du GERS DATA, cette évolution du prix intervient dans le calcul de la marge de la pharmacie et dans la lecture même de son taux de marge qui va s’effriter, en tout cas pour cette catégorie des produits de TVA à 2,1 %.
Autre élément, les produits chers (prix supérieur à 1930 euros) ne sont pas à l’abri des baisses de prix. Ainsi, en 2024, 115 d’entre eux ont connu une baisse de prix moyenne de 12,9 %, soit le plus fort taux appliqué. Quant aux spécialités d’un prix compris entre 468,97 et 1 930 euros, 210 ont été concernées par une diminution de 12,3 % en moyenne de leur prix. Ces deux catégories de produits encaissent ainsi 70 % de l’impact des baisses de prix de l’année 2024. Des tendances que pointe GERS DATA. « Pour la pharmacie, dans son quotidien, l’enjeu sera donc, conclut David Syr, de gérer cette dynamique sur l’ensemble du médicament, mais aussi de mesurer l’impact des prix sur la lecture du CA qui ne sera pas forcément la même sur celle de la marge ».
C’est à l’aune de ces lectures qui rendent l’exercice au quotidien de plus en plus complexe, assure-t-il, que le pharmacien va pouvoir juger à partir de quel moment il peut se déclarer satisfait de la performance de son équipe.
Baromètre Femmes de santé
Santé des femmes : un rôle à jouer pour le pharmacien
15e rencontres de l’USPO
Ruptures, indus, rémunération : la seule solution, la mobilisation ?
Tensions d’approvisionnement
Dispensation à l’unité, préparation magistrale : ce qui vous attend pour contrer les tensions en quétiapine
Exercice professionnel
TROD angine et cystite: plus de 15 000 pharmacies ont joué le jeu