Dans le cadre de l’entretien femme enceinte, les pharmaciens sont en première ligne pour informer et accompagner les patientes durant leur grossesse. Accessible depuis novembre 2022 aux femmes enceintes, quel que soit le stade de leur grossesse, cet entretien ayant pour objectif de sensibiliser les patientes au risque tératogène et à l’importance de la vaccination gagnerait-il à intégrer un paragraphe de prévention sur l’exposition aux composés exogènes ? Ces dernières semaines, deux publications scientifiques sont venues souligner l’importance de renforcer la vigilance face aux risques émergents. La première s’intéresse aux effets de l’accumulation dans le placenta de microplastiques tandis que la seconde concerne les effets de la consommation de cannabis non médical durant la grossesse. Ces travaux éclairent l’impact d’une exposition toujours plus fréquente à des molécules présentes dans nos environnements directs, et invitent à une réflexion sur les paramètres de vigilance aujourd’hui pris en compte.
Les nanoplastiques, des perturbateurs endocriniens ?
Motivée par l’accroissement de l’incidence des maladies de la grossesse d’origine placentaires, une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Université Paris Cité, s’est penchée sur les conséquences de l’ingestion de nanoplastiques, désormais omniprésents dans notre environnement. Les chercheurs ont déterminé que ces polluants peuvent franchir la barrière placentaire et perturber le développement du fœtus. Sous la direction d’Amal Zerrad-Saadi, l’équipe a exposé des cellules placentaires à des particules de polystyrène de 20 ou 100 nanomètres, dans des concentrations similaires à celles retrouvées dans le sang d’individu de la population générale, puis s’est penchée sur des indicateurs associés à l’état et au fonctionnement des cellules. « Quelques travaux ont déjà été menés avec des lignées de cellules placentaires capables de se diviser indéfiniment, un modèle expérimental courant et pratique, mais qui ne reflète pas avec précision le comportement et le fonctionnement des cellules humaines in vivo », commence Amal Zerrad-Saadi. En d’autres termes, ce sont des cellules directement issues de placentas humains prélevés lors d’accouchements, qui ont été soumis à la pollution aux nanoplastiques, afin de simuler au mieux le comportement de ceux-ci dans de « vrais » tissus. Résultats, si la réponse diffère en fonction de la taille du corps étranger, les deux corps induisent une réponse pro-inflammatoire et une baisse de la sécrétion de l’hormone b-hCG. Cette dernière, indispensable au bon déroulement de la grossesse, régule par un complexe ballet moléculaire la production de progestérone durant les premiers stades du développement embryonnaire.
Une inquiétude croissante
« Nos travaux montrent donc un impact délétère des nanoplastiques sur la fonction endocrine des cellules placentaires humaines, leur capacité à produire des hormones. », poursuit la directrice de recherches. Cette observation, dans la lignée de nombreux travaux, alimente une crainte de longue date : ces nanoplastiques, auxquelles nous ne pouvons aujourd’hui plus échapper, sont-ils des perturbateurs endocriniens ? Alors qu’ils sont utilisés massivement depuis plusieurs décennies, leur vieillissement libère dans l’air, dans le sol et dans les eaux ces nanoparticules. Une zone d’ombre subsiste toutefois sur les effets d’une exposition prolongée. Un paramètre qui constitue la prochaine étape de l’équipe française. « Nos résultats viennent renforcer le faisceau de données qui incite à la prudence au regard de l’usage des plastiques et appelle à réduire nos sources d’expositions. Je pense par exemple à l’eau en bouteilles plastiques, parfois privilégiée par rapport à l’eau du robinet alors qu’elle contient autant, voire plus de particules plastiques », achève Amal Zerrad-Saadi.
Un risque accru de naissance prématurée, de faible poids pour l’âge gestationnel et de faible poids à la naissance.
Parallèlement, aux États-Unis, la seconde étude s’est intéressée à un composé naturel mais interdit, y compris dans l’Hexagone. Au cours des deux dernières décennies, la consommation de cannabis n’y a cessé de croître, y compris chez les femmes enceintes. La prévalence du cannabis prénatal non médical a plus que doublé et cette plante illégale est même devenue la drogue la plus consommée par les femmes enceintes. C’est pourquoi une équipe de chercheurs de l’Université de la santé et des sciences de l’Oregon (OHSU) a réalisé une méta-analyse de la littérature disponible sur le sujet, en construisant ses conclusions sur un corpus de 51 études, qui regroupent les données de plus de 21 millions de grossesses. Dans le papier publié le 5 mai dans le « Journal of the American Medical Association » (JAMA), les scientifiques indiquent « que la consommation prénatale de cannabis est associée à un risque accru de naissance prématurée, de faible poids pour l’âge gestationnel et de faible poids à la naissance. » Ces effets délétères sur la santé du nouveau-né, seraient en partie attribuables au delta-9-tétrahydrocannabinol ou THC. Celle-ci, principale substance active de cette drogue, « est en mesure de traverser le placenta et de se lier aux récepteurs endocannabinoïdes des principaux organes du fœtus. »

Des conclusions en demi-teinte
Toutefois, les auteurs, conscients des limites de leurs travaux, nuancent leurs conclusions. Ces derniers soulignent d’une part que la majorité des études prises en compte manquent d’information sur le moment, la fréquence ou la durée de la consommation prénatale de cannabis et d’autre part qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en compte les effets des nausées et vomissement sévère pendant la grossesse, « qui peuvent aussi occasionner des conséquences négatives » sur les paramètres étudiés. Ces conclusions, bien qu’en demi-teinte, invitent à la prudence. « La consommation prénatale de cannabis étant un facteur de risque modifiable, les efforts cliniques et de santé publique visant à la réduire sont susceptibles d'atténuer la morbidité et la mortalité pendant la grossesse et du fœtus. » S’il existe des variabilités socio-économiques qui interdisent de calquer ces chiffres à l’identique sur notre rive de l’Atlantique, les tendances sont similaires. En France, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a estimé qu’en 2023, 50,4 % des Français de 18 à 64 ans ont consommé cette substance illicite au cours de leur vie. Un phénomène de société qui interroge, tant les études sur le sujet peinent à déterminer avec précision les conséquences de l’exposition à cette plante et ses composants. Par ailleurs, toujours selon l’OFDT, quel que soit le sexe, le taux d’expérimentateurs du cannabis culmine chez les 26 à 34 ans. Une valeur qui coïncide avec l’âge moyen de la mère à l’accouchement, que le site Internet de statistique Statista estime à 31 ans en 2023. Selon le GERS Data, au 31 octobre 2024, près d’un tiers des officines a effectué un entretien femme enceinte au cours des 10 derniers mois. Ces pharmacies ont accueilli en moyenne cinq patientes dans ce cadre. Si le dispositif est loin d’être généralisé, il est en progression constante depuis sa mise en place. Les patientes semblent suffisamment plébisciter celui-ci pour que l’intérêt d’y intégrer des conseils quant à l’exposition aux nanoplastiques ou au cannabis puisse y trouver sa place.