Derrière les lourdes portes en bois du premier bâtiment de l’Institut Pasteur, construit en 1888, l’univers intime du scientifique se dévoile. Le visiteur découvre l’appartement qu’il occupa les sept dernières années de sa vie avec sa femme.
Autre ambiance au musée du Quai Branly, où il est question des tout petits êtres vivants - « Micro Mondes » titre l’exposition - ceux-là mêmes que Pasteur put observer sous microscope pour caractériser les germes et autres poussières vecteurs de maladies.
Enfin, au Petit Palais, le grand homme se montre, au centre de l’exposition, sous le pinceau de son portraitiste le plus talentueux, le Finlandais Albert Edelfelt, venu à Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pasteur est représenté au travail dans son laboratoire, en pleine observation d’un broyat de moelle rabique, un an à peine après la découverte du vaccin contre la rage. En 1886, cette peinture fit un tabac. Dans l’exposition entièrement consacrée à la redécouverte du peintre finlandais, elle est mise en regard d’un autre portrait, celui du Dr Roux, fidèle collaborateur de Pasteur, qui ouvrit en 1889 le premier cours de microbie technique à l’Institut Pasteur, avant d’en devenir le directeur en 1909, et qui fut aussi le découvreur de la toxine diphtérique pour laquelle il mit au point un sérum antidiphtérique en 1894.
Conservé au musée d’Orsay, le lumineux portrait de Pasteur est aussi visible - une copie autographe - au mur de la salle à manger du musée Pasteur, juste en face du portrait du biologiste Lazzaro Spallanzani, qui fut l’un des grands modèles de Pasteur, étant l’un des premiers à avoir réfuté la thèse de la génération spontanée au XVIIIe siècle.
Un appartement resté dans son jus
« Tout est resté dans son jus », indique Jean-François Chambon, actuel responsable du musée. Et en effet, les tapis et le mobilier semblent endormis dans une torpeur silencieuse, préservant sous leurs apprêts un lustre fin 19e. Si dans un article paru en septembre dernier, nous nous intéressions à la terre natale, jurassienne, de Louis Pasteur, né, rappelons-le, à Dole le 27 décembre 2022, nous nous penchons désormais sur son lieu de vie parisien.
L’atmosphère est feutrée et solennelle. On y croise plusieurs pastels de sa main, où sont croqués avec un certain talent ses amis et sa famille. L’enfilade des petits salons cossus, du cabinet de travail et des salles de réception se poursuit au premier étage avec les chambres et une salle de bains dernier cri, dotée d’une baignoire, d’un sèche serviette et d’une arrivée d’eau chaude et d’eau froide. Un vrai luxe pour l’époque ! Pasteur ne négligeait rien concernant l’hygiène, comme en témoigne un discours qu’il prononça à l’Académie des sciences le 29 avril 1878 : « Si j’avais l’honneur d’être chirurgien, pénétré comme je le suis des dangers auxquels exposent les germes des microbes répandus à la surface de tous les objets, particulièrement dans les hôpitaux, non seulement je ne me servirais que d’instruments d’une propreté parfaite, mais après avoir nettoyé mes mains avec le plus grand soin et les avoir soumis à un flambage rapide. »
À la même époque, le chirurgien anglais Joseph Lister, après avoir lu les écrits de Pasteur sur la fermentation, décidait justement d’utiliser de l’eau phéniquée pour nettoyer les blessures, donnant naissance à l’antisepsie, corollaire de l’asepsie prônée par Pasteur puis de l’hôpital dit « pavillonnaire » permettant d’isoler les malades contagieux.
Un héritage remarquable
Le musée de l’Institut Pasteur, avec la maison d’Arbois dans le Jura, reste donc le témoin unique du quotidien du chimiste - on l’imagine toujours monter l’escalier construit à dessein avec des demi-marches alors qu’il avait été victime d’un grave AVC à l’âge de 45 ans. Mais il est surtout l’écrin de la mémoire de ses grandes découvertes présentées dans la salle des produits scientifiques (anciennement la buanderie) : microscopes, autoclaves, flacons remplis de cristaux et d’extraits de moelle rabique, ballons à col-de-cygne, tous ces instruments et ces échantillons content l’extraordinaire aventure pasteurienne, depuis la découverte de la dissymétrie moléculaire à partir de l’observation des cristaux (1846-1857), les recherches sur les fermentations chez les distillateurs du Nord (1854-1862), les travaux sur la réfutation de la génération spontanée caractérisés par les ballons à col-de-cygne dans lequel il enfermait les germes et les poussières (1859-1864), jusqu’aux travaux sur les maladies des vers à soie et du vin (1863-1876), et bien sûr la découverte du vaccin contre la rage (1885).
Ce qui unit toutes ces recherches est l’observation microscopique, à l’origine d’une grande partie du développement de la microbiologie moderne, ainsi que la prise en compte des microbes comme organismes vivants. Par extension, c’est aussi toute la pharmacologie moléculaire qui est concernée, avance Gabriel Lepousez, chercheur au sein de l’unité perception et mémoire à l’Institut Pasteur, qui, à l’appui d’une expérience sensorielle olfactive, nous démontre que les intuitions de Pasteur sur l’architecture moléculaire étaient pionnières. « Si l’on revient sur son constat que les molécules dissymétriques sont la marque du vivant, il est intéressant de voir qu’à l’époque actuelle, lors d’expéditions spatiales, la recherche d’une éventuelle trace de vie en dehors de la Terre passe par la recherche de molécules dissymétriques », remarque à son tour Maxime Schwartz, directeur général honoraire de l’Institut Pasteur. L’héritage de Pasteur - et le grand public le sait peu - est bien plus large que la seule découverte du vaccin contre la rage…
Vers une cité des microbes
Dans la crypte de l’Institut Pasteur, se trouve aussi son tombeau, couché sous des voûtes décorées d’incroyables mosaïques inspirées des décors byzantins des églises de Ravenne qui racontent en images ses grandes découvertes. Cependant, mis à part la petite salle à manger qui a fait l’objet d’une restauration en 2008, l’ensemble du musée Pasteur a besoin d’un vaste chantier de rafraîchissement : « Le musée va fermer à l’automne pour deux ou trois ans et tout le bâtiment va être restauré, annonce Jean-François Chambon, L’idée est de construire une cité des sciences des microbes à vocation pédagogique pour le grand public. »
Outre la restauration des salles historiques, de nouveaux espaces contemporains seront donc aménagés. Pour l’heure, la restauration du musée équivaut à une enveloppe de 5 millions d’euros que l’Institut espère lever grâce à un appel à souscription publique qui devrait être lancé prochainement par l’intermédiaire de la Fondation du patrimoine.
Une histoire microscopique…
Les microbes, on les retrouve dans les œuvres d’Hervé di Rosa, disséminées dans la Salle des Actes de l’Institut (dotée d’une immense bibliothèque). C’est justement une toile de cet artiste qui introduit l’exposition du Quai Branly. Car Hervé di Rosa est connu pour ces peintures fourmillantes, ici de molécules ultra-colorées ! L’exposition montre, au fil de quelques objets ethnographiques, tels des cages à criquets d’Indonésie ou des pièges à insectes de Chine, comment les sociétés non occidentales ont appréhendé les êtres microscopiques. C’est toute l’histoire de la capture des microbes, des premières images microscopiques, et donc par extension de celle du microscope. Pasteur, lui, utilisait le microscope Nachet, tandis que son successeur, le Dr Roux, avait mis au point un appareil photographique pour capter les images du microscope.
Entre sciences, art et humanisme, le nom de Pasteur n’en a pas fini de rayonner. En témoigne la galaxie de l’Institut Pasteur présente dans 25 pays. Et si le Tour de France part cette année de Dole, ce n’est sûrement pas un hasard…
À voir, le musée de l’Institut Pasteur, en visite virtuelle durant la durée de ses travaux de rénovation.
https://artsandculture.google.com/partner/institut-pasteur
Exposition Albert Edelfelt. Lumières de Finlande, au Petit Palais jusqu’au 10 juillet.
Exposition Micro Mondes. Vivre avec les petits êtres, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac jusqu’au 11 septembre.