▶ Les ficelles de la fraude
Aujourd’hui, le degré de sophistication qu’atteignent certaines fausses prescriptions fait facilement le jeu des fraudeurs. « L’imitation d’une ordonnance est de plus en plus difficile à repérer », déplore Cyril Colombani, porte-parole de l’USPO*. Les médicaments les plus sujets à la fraude sont prescrits en nombre raisonnable, inclus dans une liste d’autres traitements ou soins répondant en tout point au contenu d’une ordonnance classique dédiée à prendre en charge une pathologie quelconque et affublés de toutes les mentions accompagnant habituellement une prescription authentique. « Il suffit d’un logiciel et d’une imprimante pour produire une ordonnance dans les règles. » Elle bénéficiera de toutes les mentions légales, nom du prescripteur, adresse du cabinet médical, codes-barres (de l’Ordre des médecins, Adeli) générés automatiquement, tampon du médecin et signature imitée.
▶ Repérer une fausse ordonnance
En théorie, seules les ordonnances originales faxées directement du prescripteur à l’officine ou envoyées par messagerie sécurisée peuvent être délivrées. En pratique, depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, nombre de praticiens envoient leurs ordonnances par mail aux patients, ce qui complique la tâche du pharmacien. Dans tous les cas, celui-ci a une obligation de vigilance déontologique et se doit de faire une analyse de premier niveau pour savoir si l’ordonnance est valide (mentions légales obligatoires, pas d’ajouts suspects…) et si la prescription correspond bien aux symptômes exprimés, aux caractéristiques du patient… Certains signes pourront alerter : ordonnance de complaisance, falsifiée, ne comprenant pas tous les éléments habituellement requis, à la calligraphie suspecte, avec des fautes d’orthographe (…); médicament ajouté, posologie anormale, ne correspondant pas à l’état du patient, prescription modifiée en termes de posologie, de durée (...); molécule prescrite - stupéfiants ou assimilés, antidouleur, anxiolytiques, antidiabétiques, somnifères, mais aussi les spécialités onéreuses (comme les anticancéreux, les antihépatiques) - faisant l’objet de détournements fréquents destinés à alimenter un circuit parallèle ou à fournir l’étranger ; attitude trahissant une forte anxiété chez la personne qui présente l’ordonnance ; refus d’utiliser la carte Vitale et le tiers payant…
▶ Que faire quand la fraude est suspectée ?
En cas de doute, le pharmacien commencera par contacter le prescripteur. Si l’ordonnance s’avère falsifiée, il devra également avertir sa CPAM et l’Ordre des pharmaciens. L’officine pourra, par ailleurs, déclarer la fraude en se connectant (avec un mot de passe) au site ASADO (Alerte sécurisée aux fausses ordonnances) développé par la CNAM et qui répertorie dans sa base de données les fausses ordonnances identifiées. Actuellement limité à l’Île-de-France, le dispositif ASADO devrait être étendu au niveau national d’ici à la fin du 1er trimestre 2024 en intégrant le compte Amelipro des pharmacies. L’officine peut également alerter son CEIP-A (Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance) dont la liste est disponible sur le site de l’ANSM.
▶ Spécifique aux médicaments onéreux
Afin de renforcer la lutte contre le trafic des médicaments onéreux, une obligation de contrôle spécifique incombe au pharmacien qui les délivre. Sauf s’il connaît le patient et/ou le prescripteur, il doit authentifier toute ordonnance de médicament d’un prix unitaire public TTC de plus de 300 euros. S’il n’a rien repéré en consultant la grille de vérification, communiquée directement aux pharmaciens (et bientôt la base ASADO des fausses ordonnances en cours de déploiement), il vérifie la compatibilité de la prescription avec le parcours de soins du patient en consultant les informations disponibles le concernant. Si les vérifications nécessaires ont été effectuées, la prescription peut être considérée comme validée. Si l’ordonnance n’est pas authentifiée, le pharmacien contacte le prescripteur en ville. Sans plus d’éléments d’authentification, il délivrera le conditionnement minimal associé au traitement et le mentionnera sur l’ordonnance (« Délivrance temporaire »). Si l’ordonnance est authentique, il l’indique (« Délivrance sécurisée ») avant de transmettre une copie à l’assurance-maladie. En cas de fraude, le pharmacien refuse la délivrance et inscrit sur l’ordonnance « Refus de délivrance » avant de transmettre une copie au service médical. « Nous avons demandé le recours aux prescriptions sécurisées sur support filigrané pour les médicaments onéreux », précise à ce sujet Cyril Colombani.
▶ Quelles conséquences légales ?
Le pharmacien ayant un devoir de vigilance face aux prescriptions qu’il traite, sa responsabilité peut être invoquée s’il dispense les médicaments d’une fausse ordonnance. Dans le cas de figure le plus grave, si la contrefaçon est avérée, il pourra être suspecté de contribuer à un trafic de médicament. Plus couramment, il n’aura qu’un indu à gérer si la CNAM refuse de rembourser l’officine. Dans tous les cas, il faut rappeler que le pharmacien a le droit de refuser de délivrer un médicament si certaines conditions ne sont pas réunies.
▶ Et l’ordonnance numérique ?
Inscrite dans la stratégie nationale « Ma santé 2022 », la prescription électronique se présente comme l’outil incontournable de lutte contre la falsification des ordonnances. Rédigée à partir du logiciel d’aide à la prescription du médecin, elle est enregistrée dans une base de données sécurisée de l’assurance-maladie et dans le DMP du patient - accessible dans « Mon espace santé » - accompagnée d’un QR code et d’un numéro unique de prescription. Éditée sous forme papier dans un premier temps, elle peut également être directement consultée par le pharmacien dans son logiciel (référencé Ségur) en scannant le QR code. En retour, les données de délivrance sont également enregistrées dans la base de données et peuvent, avec l’accord du patient, être consultées par le médecin prescripteur. La généralisation de l’ordonnance numérique devrait intervenir au plus tard d’ici à la fin 2024, selon la déclaration du ministre des Solidarités et de la Santé. « Nous attendons toujours le déploiement de la e-prescription, indique Cyril Colombani. Le projet est freiné par l’actualisation des logiciels métiers du médecin et du pharmacien qui n’est pas effective. »
* Union des syndicats de pharmaciens d'officine.