Colloque dans le Grand Est

Déprescription : la nouvelle mission du pharmacien ?

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Publié le 03/04/2025
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Réponse prometteuse aux défis de la polymédication, de la surconsommation et des risques iatrogènes, la « déprescription » pose toutefois de nombreuses questions quant à son application. Lors d’un colloque organisé à Strasbourg par l’Observatoire du Médicament, des Dispositifs Médicaux et de l’Innovation Thérapeutique (OMéDIT du Grand Est), les pharmaciens de la région ont rappelé la complexité de cette démarche, qui ne pourra réussir que dans le cadre d’une collaboration étroite entre eux-mêmes, les médecins et les patients.

Si le dialogue et l’accord des patients sont fondamentaux, les libéraux peuvent s’appuyer sur des cartes de suivi qui accompagneront leurs échanges avec eux et l’ensemble des intervenants

Si le dialogue et l’accord des patients sont fondamentaux, les libéraux peuvent s’appuyer sur des cartes de suivi qui accompagneront leurs échanges avec eux et l’ensemble des intervenants
Crédit photo : Phanie retouches Le Dortz

L’URPS pharmaciens regrette d’ailleurs que le terme de déprescription, transcription littérale du mot anglais, s’impose en France au détriment de ceux de « prescription adaptée » ou « juste prescription ». Pour l’ARS du Grand Est toutefois, « la déprescription n’est pas une opposition à la prescription, mais son prolongement naturel ». Quoi qu’il en soit, les intervenants ont présenté le cadre des pratiques de déprescription puis, lors d’ateliers spécifiques, les classes thérapeutiques les plus susceptibles d’être concernées, en premier lieu les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les benzodiazépines et les antidépresseurs ainsi que les médicaments à service médical rendu insuffisants (SMRI) et les médicaments potentiellement inappropriés chez les personnes âgées (MPI).

La déprescription constitue déjà une pratique régulière à l’hôpital, mais s’impose plus lentement en ville

 

De nombreux bénéfices

Pharmacien hospitalier responsable de l’OMéDIT Grand Est, Raoul Santucci est conscient des questionnements des officinaux, mais rejette l’idée d’une démarche antinomique. D’abord, explique-t-il, la culture iatrogénique est à la base de leur métier. Ensuite, ils sont désormais prescripteurs et dispensateurs de traitements. La déprescription, après les accompagnements pharmaceutiques et les bilans partagés, s’inscrit comme une nouvelle étape de leur prise en charge des patients. En outre, il ne s’agit pas seulement « d’enlever des boîtes du comptoir », mais bien de contribuer à un processus dont les bénéfices, avant tout sanitaires, dépassent largement le seul patient ou les seules contraintes économiques. Le colloque a insisté notamment sur les avantages environnementaux d’une consommation de médicaments mieux maîtrisée, qui en réduit non seulement la production, mais aussi les résidus souvent très polluants.

Une dizaine de situations dans lesquelles médecins et pharmaciens devraient envisager une déprescription

 



La déprescription constitue déjà une pratique régulière à l’hôpital, mais s’impose plus lentement en ville. Pourtant, médecins et pharmaciens disposent de plusieurs outils, notamment conventionnels, pour la concrétiser, outils qui seront encore complétés l’an prochain. Si l’explication, le dialogue et l’accord des patients sont fondamentaux, les libéraux peuvent s’appuyer sur des « ordonnances de déprescription » ou cartes de suivi qui accompagneront leurs échanges avec eux et l’ensemble des intervenants. Le colloque a passé en revue la dizaine de situations dans lesquelles médecins et pharmaciens devraient envisager une déprescription, que ce soit en fonction de l’évolution physiopathologique du patient lui-même, ou bien de l’efficacité attendue et obtenue par le traitement, ainsi que des risques liés à sa poursuite, notamment en cas de polymédication.

« Un acte pharmaceutique à part entière »

Tout en déplorant que le terme de déprescription « diabolise » le médicament, voire mette de l’eau au moulin des « militants anti médicaments », Claude Windstein, vice-président de l’URPS Pharmaciens du Grand Est, estime que cette démarche s’inscrit « logiquement » dans le rôle des pharmaciens, mais exige une coopération active et éclairée de la part des patients concernés.

« Si un médecin arrête une prescription ou si nous refusons une délivrance sans justification, le patient changera de médecin ou se procurera ailleurs les médicaments qui lui sont refusés, et la démarche sera donc contre productive », précise-t-il d’emblée. À l’inverse, faire comprendre au patient l’intérêt d’une diminution ou de l’arrêt d’un traitement pour obtenir son consentement qui en assurera le succès. La « déprescription » des médicaments, qui ne sont plus adaptés à la situation présente du patient, y compris s’ils l’ont été pendant très longtemps, offre de nombreux avantages. Néanmoins, cet acte proprement dit reste complexe, voire perturbant, pour le patient. « Je pense que dès la prescription, les médecins devraient s’interroger sur l’arrêt ultérieur du traitement, y compris en annonçant dès le départ qu’il sera amené à évoluer, voire à s’arrêter », déclare Claude Windstein. Selon lui, cette pédagogie « préventive » limiterait les difficultés et les incompréhensions au moment de l’arrêt.

Pas de sanction pour le pharmacien

Au-delà de la méthodologie, la prescription adaptée pose bien entendu des questions économiques aux pharmaciens, dont la rémunération est liée aux volumes délivrés. En effet, la déprescription ne doit pas se traduire par une « sanction » pour l’officine. « Je rappelle que les médecins bénéficient déjà d’une ROSP lorsqu’ils déprescrivent un IPP. Nous jouons nous aussi un rôle primordial pour expliquer au patient les raisons d’une déprescription, et cette dernière devrait donc devenir, elle aussi, un acte rémunéré en tant qu’intervention pharmaceutique », conclut M. Windstein.

D. D. B.

 

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du Pharmacien