La pandémie de Covid-19 qui a mis en lumière l’origine animale de son émergence, nous rappelle que près de 75 % des maladies infectieuses émergentes ont une origine animale. Parmi les causes d’émergences dont certaines remontent à l’origine de la chasse puis de la domestication, Gilles Salvat a souligné le rôle intrusif et délétère de l’homme dans les écosystèmes. Souvent liée à la pauvreté, l’exploitation de milieux naturels pour les ressources minières, la culture ou l’élevage a ainsi fortement contribué au développement de maladies. C’est le cas du virus Nipah responsable d’une fièvre hémorragique et transmis à l’Homme par le porc. L’élevage de ce dernier en bordure de forêt primaire en Malaisie avait conduit des animaux à consommer des fruits préalablement grignotés par des chauves-souris frugivores infectées et à devenir source de virus pour l’Homme. Après ce passage de la barrière d’espèce, le virus s’était adapté à l’Homme permettant la transmission interhumaine. Cet exemple illustre en outre le rôle amplificateur potentiel de l’élevage, qui concentre une population d’animaux sensibles. À cela s’ajoute l’impact du changement climatique qui génère nombre de déplacements d’espèces migratrices, de parasites vecteurs et par là même des maladies associées, comme la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF) transmise par la tique Hyalomma, classiquement tique des pays chauds, actuellement présente dans le sud de l’Europe et de la France.
La faune sauvage intervient pour 43 % des émergences
Le rôle de la faune sauvage dans l’émergence de maladies zoonotiques est ancien comme l’a rappelé Élodie Monchatre. Deux facteurs principaux expliquent son importance croissante : d’une part l’Homme présente une sensibilité accrue à des pathogènes qu’il côtoie régulièrement dans la durée, ce qui se produit notamment dans certaines conditions d’élevage extensif où existent des contacts répétés avec la faune sauvage ou encore lors d’expansion géographique de certaines espèces sauvages (sangliers, ratons laveurs…). D’autre part, l’émergence peut provenir de la mise en contact accidentelle d’animaux sauvages porteurs d’agents pathogènes inhabituels pour l’Homme et les espèces domestiques. Au final, on observe une augmentation des contacts avec la faune sauvage en raison des pratiques d’élevage, des changements climatiques et de la perturbation des habitats sauvages.
Détecter l’émergence en surveillant l’apparition des premiers signes dans une population
Plusieurs dispositifs de surveillance épidémiologique des populations animales existent en France (ex OMAR pour les bovins, OMAA pour les abeilles…) et ont pour rôle de détecter l’apparition de syndromes ou signes précoces de morbidité et de mortalité a indiqué Charlotte Dunoyer. Les données collectées sont analysées et remontées au sein de la plateforme d’épidémio-surveillance en santé animale ESA qui, en collaboration étroite avec l’ANSES, donne l’alerte en cas d’augmentation de la mortalité et oriente les investigations.
D’autres structures assurent une veille événementielle à l’échelle d’un élevage ou d’une maladie comme l’observatoire Oscar (pour le suivi des avortements des ruminants) ou le réseau RESAVIP (pour le suivi des virus influenza porcins). Ces réseaux sentinelles sont nombreux et travaillent en liaison directe avec l’ANSES et ses 5 laboratoires de santé animale pour la détection des risques zoonotiques.
Gilles Salvat a ensuite précisé les enjeux de la détection précoce, avant même l’apparition de symptômes. Cette situation se produit avec certaines maladies (comme la salmonellose ou l’influenza aviaire) pour lesquelles l’excrétion des pathogènes précède les signes cliniques et permet une diffusion à bas bruit. Une surveillance diagnostique en continu est alors nécessaire au chevet de l’animal et les tests sont réalisés en pratique par les éleveurs et vétérinaires. Ce type de test au plus près du patient (POCT : point of care tests) sont déjà largement utilisés en médecine humaine, dont certains par les pharmaciens, pour accélérer le suivi de certaines pathologies (infections respiratoires, IST…). Toute suspicion fait l’objet d’une confirmation de laboratoire, et est remontée à l’ANSES.
Les LNR en première ligne en temps de crise
Lors d’une crise liée à une émergence, ce sont les laboratoires nationaux de référence (LNR) de l’ANSES qui assurent une réponse coordonnée à chaud, a indiqué Stephan Zientara. En 2021, 46 des 66 mandats de LNR étaient dédiés à la santé animale. Chaque LNR concentre son expertise sur une maladie. Les missions assurées recouvrent des activités de recherche pour différentes maladies (dont la rage, West Nile, Covid…) ainsi que des activités de référence (développement de méthodes d’analyse, animation technique de réseaux de laboratoires agréés, contrôle des réactifs de diagnostics commerciaux, veille épidémiologique etc). Les LNR assurent l’isolement, mais aussi la caractérisation de l’agent pathogène (ex-variants du SARS-Cov-2).
En pratique, face à une crise en santé animale, l’ANSES va gérer la situation de façon coordonnée avec les différents acteurs « One Health » concernés par la maladie identifiée. C’est ce qu’elle a fait par exemple lors de l’identification d’un chat infecté par le virus de l’influenza aviaire H5N1 dans les Deux-Sèvres le 28 décembre 2022. Enfin, sur sollicitation des pouvoirs publics (DGAL), l’ANSES est amenée à évaluer les risques et proposer des plans de lutte et de prévention adaptés. Les mesures sanitaires proposées peuvent aller des mesures d’hygiène et de vaccination généralisée (ex. fièvre aphteuse) à un éventuel abattage massif (ex. Influenza aviaire).
Prévenir les émergences en optimisant les conditions d’élevage
Hors période de crise, le rôle de l’ANSES consiste à analyser les conditions d’élevage pour limiter le risque d’émergence a résumé Nicholas Eterradossi.
Cet objectif est complexe et recouvre aussi bien l’évaluation des risques sanitaires encourus par les élevages (ex. grippe aviaire), que l’analyse de l’impact du changement climatique sur la santé des animaux (ex. impact des expositions parasitaires vectorielles) ou la recherche de mesures d’amélioration zootechnique (ex. sélection de races animales plus résilientes aux maladies infectieuses ou aux nouvelles conditions d’élevage, adaptation des mesures de biosécurité).
Pour compléter cette approche préventive, l’ANSES s’appuie sur le développement de nouveaux outils diagnostiques (diagnostic à la ferme type POCT/Point of care tests) et les dernières technologies vaccinales (études de vaccins contre l’influenza aviaire du canard et la peste porcine africaine).
Se préparer aux émergences à venir, c’est enfin améliorer l’étude des pathogènes animaux, sources de 60 % des maladies émergentes humaines. Cela sous-entend l’approfondissement des études d’infectiologie comparées entre les maladies humaines et animales et des études exploratoires sur les pathogènes à fort potentiel d’émergence (Coronavirus, influenza virus etc).
La lutte contre les maladies émergentes passe avant tout par le travail « à froid » a conclu Gilles Salvat. Elle s’appuie en amont sur la recherche, la surveillance, la prévention et la formation. Lors d’une crise, il convient de réagir rapidement en sollicitant de façon coordonnée tous les acteurs impliqués, aussi bien en santé humaine qu’animale, réunis dans « une seule santé ».