La pharmacie du Marché

Chez Monsieur Brinbault

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Publié le 25/03/2022
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Épisode 141. Pour la première fois depuis qu'elle est arrivée à la Pharmacie du Marché, Marion se rend chez Monsieur Brinbault, un patient exigent, désagréable et très seul.

- Un conseil, Marion. Ne te laisse pas faire. Il a ses habitudes, et le fait que ce soit toi qui livres les médicaments aujourd'hui ne lui plaira pas. Il risque de te laisser poireauter à la porte. Tu entres, et tu t'imposes, prévient Christèle.

- De toute façon, à part gueuler voire t'insulter, il ne te fera rien. Il ne marche pas…, ricane Damien. S'il y a bien un client qui ne va pas me manquer, c'est bien lui.

Le préparateur réfléchit et finit par ajouter :

- Et la mère Mazarin aussi…

- C'est vrai qu'il est détestable, mais il a aussi un côté attachant, non ?, reprend sa collègue pendant que Marion, concentrée, vérifie les sacs à livrer à Monsieur Brinbault.

- C'est un con. Même malade, il n'a pas à traiter son entourage comme ça, encore moins quand on le soigne. Tu me fais penser à une collègue préparatrice, dans une pharmacie où j'ai débuté ma carrière. Corinne… plus les patients étaient torturés, plus elle aimait s'en occuper.

- On n'est pas là que pour les patients faciles !, intervient Marion.

- Toi, tu ne diras pas ça dans une heure…, lui répond Damien en s'éloignant.

D'habitude, les livraisons de médicaments au domicile des patients sont assurées par les préparateurs, voire par Marilyne. Karine et J-C souhaitent désormais que les pharmaciens, dont eux, se rendent au domicile des patients de temps en temps. D'autant plus que la Pharmacie du Marché a intégré un programme mis en place par l'ARS pour détecter les fragilités ou des signes de perte d'autonomie chez des patients âgés. « De plus en plus, l'intervention pharmaceutique doit dépasser les murs de l'officine. J'espère même qu'on pourra réaliser des bilans de médication à domicile », avait expliqué Karine à ses adjoints. Cette nouvelle perspective avait fait râler Jean-Paul. Les bras croisés, le regard renfrogné, il avait lâché : « Vivement la retraite ».

Lorsque Marion arrive devant la porte de Monsieur Brinbault, elle repense aux conseils de Christèle : « Je ne suis plus une étudiante quand même ! Je ne vais pas me mettre à avoir peur des clients. » Elle a déjà eu l'occasion de parler au téléphone avec cet homme et l'échange s'était bien passé.

- Entrez.

- Monsieur Brinbault, bonjour. J'apporte les médicaments et les pansements.

- Encore une nouvelle ! Le personnel change tout le temps, vos collègues ne veulent plus me voir ?, lance l'homme, assis à sa table de cuisine sans relever les yeux de ses mots croisés.

On ne sait plus de quelle maladie Monsieur Brinbault souffre réellement, à force d'empiler les diagnostics et les traitements : BPCO, arthrose, amputation d'une main, paralysie neurologique, infections chroniques, hypertension et maladie coronaire…

- Je suis Marion. Nous nous sommes parlé au téléphone. Christèle et Nicole sont toujours à la pharmacie, mais j'avais envie de connaître plus qu'une voix. Je suis pharmacienne…

- Pharmacienne, préparatrice, j'en ai rien à foutre. Du moment que vous me donnez mes poisons.

Le patient s'interrompt, regarde Marion pour la première fois, et poursuit, d'un ton toujours provocateur :

- Alors, le physique vous plaît autant que la voix ? Posez les médicaments sur la table.

Marion est embarrassée. La table de cuisine est déjà encombrée de médicaments et autres produits de santé.

- C'est une véritable pharmacie. Nous pourrions peut-être…

- Vous posez, et vous touchez à rien.

Marion prend une boîte dans le tas de médicaments :

- Mais ce comprimé par exemple, vous ne le prenez plus ? Je peux l'emporter au recyclage.

- Foutez le camp.

- Monsieur Brinbault, parlez-moi comme vous voulez. Je m'en fiche. Par contre, laissez-moi faire mon travail.

(À suivre)

David Paitraud

Source : Le Quotidien du Pharmacien