- Ils abusent !, s'écrie J-C en raccrochant le téléphone.
En face de lui, son associée relève la tête, le regard interrogateur.
- Tu as appelé le Laboratoire Temyran ? Qu'est-ce qu'ils t'ont répondu ?, demande Karine.
- Ils ne comprennent pas ma réaction. Selon eux, les autres pharmaciens sont très contents que le laboratoire anticipe les ruptures en gonflant les quantités de médicaments livrées. Mais moi, je ne suis pas les autres… Et je ne veux pas accepter ces dix boîtes de ceftriaxone injectable alors qu'on en sort qu'une à deux par an…
- Et donc ?, reprend Karine.
- Et donc, et donc… On va laisser comme ça pour cette fois parce que c'est un package comme ils disent. Ils sont malins ceux-là quand même. Mais la prochaine fois que je vois Magali R, elle va m'entendre, dit J-C en posant lourdement ses mains sur le bureau.
- Magali est chez Norofi maintenant. Elle ne travaille plus pour Temiran.
- Ah oui, c'est vrai. Son remplaçant va m'entendre. Et toi ? Comment s'est passée cette soirée sur l'économie officinale chez le grossiste ?
- Très intéressant. On ne s'en sort pas si mal vu le contexte, même si notre comptable nous a dit hier que notre marge avait diminué. Au fait, tu sais ce que j'ai appris ?
- Qui vend ?
- Non, personne ne vend. Mais Perdrigeau, le titulaire de la pharmacie près du lycée, se vantait d'avoir commandé 10 Beyfortus, et d'avoir plein de bétahistine en stock. Le ministre n'a pas tout à fait tort quand il dit que certains pharmaciens surstockent. Ça m'a choquée.
- Quel c. celui-là ! J'ai jamais pu le sentir. Comment veux-tu qu'on y arrive si les confrères ne jouent pas le jeu. Et vous avez parlé du mouvement de mobilisation ?
- Pas trop non. Moi, je ne suis pas très emballée pour suivre le mouvement…
J-C fronce les sourcils :
- Ah ? Au contraire, je pense qu'il faut qu'on donne de la voix. Les pharmaciens sont toujours la cinquième roue du carrosse. Fatôme traîne des pieds… On ne sait même pas s'il y aura des négociations d'ici à la fin de l'année.
- Oui, mais pour nous, ça se passe plutôt bien. J'ai pas envie de me battre pour des confrères qui ne font pas d'efforts pour s'en sortir, répond Karine. On en reparle tout à l'heure ? Je vais vacciner. On déjeune toujours ensemble ?
- Oui, oui, à tout à l'heure.
Dans la pharmacie, entre deux patients, le même sujet anime l'équipe. Emmanuel, le préparateur et militant syndical, tente de convaincre ses collègues :
- Cette grève, ce sera celle des titulaires, pas la nôtre. Ils ne peuvent pas nous l'imposer.
- Ils se battent quand même pour protéger le réseau officinal. Ça nous concerne tous, rétorque Marion.
- Tu es naïve. Ce que veulent les titulaires, c'est gagner plus, mais ils ne partageront pas le gâteau.
- On peut en parler plus tard ? Il y a de plus en plus de monde, intervient Kenza.
- Il est 16 h 00, c'est le coup de feu comme d'habitude. Lou, tu pourras livrer Madame Gérard avant 18 h 00 ? L'infirmière passe chez elle vers 18 h 30, dit Christèle.
Alors que la préparatrice s'apprête à quitter le back-office, J-C sort du bureau en trombe :
- Christèle, je file aux urgences. Ma mère a eu un malaise.
(À suivre…)