La démonstration n’est plus à faire. La pandémie a donné un coup d’accélérateur inédit à l’évolution de l’exercice officinal. Une mutation qui s’est prolongée au cours des trois dernières années et qu’ont accompagnée les conseillers ordinaux. Parmi eux, Bruno Maleine, président du Conseil central de la section A. Mais en même temps qu’il se félicitait de cet enrichissement du métier, le représentant des titulaires a également assisté à une fragilisation du maillage officinal, notamment à travers la montée de la financiarisation. « Nous avions identifié ce phénomène bien avant que les sénateurs, l’IGAS ou dernièrement la Cour des comptes ne s’en saisissent. Nous voyions apparaître des dossiers d’inscriptions dans les conseils régionaux avec des typologies totalement inconnues. Des jeunes diplômés parvenaient à devenir titulaires d’officines que nous voyions jusqu’alors rachetées essentiellement par des titulaires en deuxième ou troisième acquisition. »
Préserver le maillage : un impératif
Le risque de cette financiarisation du réseau n’est pas négligeable, selon lui, puisque l’ingérence des financeurs fait du titulaire « un simple gestionnaire de son point de vente ». Et, au-delà, crée de telles distorsions de concurrence que le maillage officinal peut s’en trouver fragilisé. L’exemple de la biologie médicale qui a ainsi vu son réseau se déliter est rédhibitoire pour les officinaux. Il était urgent d’agir face à ces montages capitalistiques de plus en plus opaques, estime l’élu ordinal qui salue le travail effectué dans le rapport rendu récemment par certains représentants de la profession, notamment l’USPO. L’étape suivante sera, selon lui, de faire évoluer les textes, notamment le Code de la santé publique. « Il faut sanctuariser l’inscription à l’Ordre afin que seules les pièces constitutives du dossier soient opposables. Y compris le pacte d’associé », expose Bruno Maleine. Il voit dans la financiarisation un sujet qui doit fédérer la profession.
Tout en reconnaissant que des modes de financement sont nécessaires, le conseiller ordinal insiste sur la préservation du maillage officinal, une préoccupation essentielle et qui, selon lui, relève des compétences ordinales. Les récentes attaques contre le monopole en provenance d’acteurs commerciaux étrangers mais aussi hexagonaux, tout comme les velléités de dérégulation de certaines autorités politiques, n’ont fait que conforter sa volonté de fédérer la profession.
Depuis un an, les relations avec les ministères de tutelle se sont apaisées. Signe que le pouvoir politique a saisi l’importance du rôle que joue la pharmacie d’officine dans des territoires en déshérence médicale. Il n’en demeure pas moins que des textes restent en souffrance. Et non des moindres. Parmi eux, le Code de déontologie dont la nouvelle version demeure bloquée vraisemblablement dans les rouages de la DGCCRF. En résulte un flou dans la communication qui entrave bien des initiatives… et encombre les chambres de discipline, précise l’élu ordinal. Celui-ci n’en reste pas moins attaché à la notion du « tact et mesure », mantra de l’Ordre, qui rappelle combien la profession doit son équilibre – et sa complexité- à ses deux piliers. « Nous devons certes tenir compte des évolutions de la société, mais nous ne devons pas nous affranchir pour autant de nos obligations de professionnels de santé », insiste-t-il, attendant des autorités qu’elles émettent « un soutien fort et engagé qui entérinerait la position de professionnel de santé du pharmacien ».
Faire évoluer la législation
Mais les attaques contre l’officine ne sont pas qu’institutionnelles ou commerciales. Le réseau ressent au quotidien la montée de la violence. La sécurité des pharmaciens qu’ils soient officinaux ou biologistes est l’un des domaines régaliens des instances ordinales. Elles ont agi au niveau national en instaurant un référent sécurité, décliné au niveau régional, en incitant les confrères agressés à porter plainte systématiquement ou encore en coopérant avec des organisations d’aide aux victimes de violences. Autant d’initiatives qui devraient, selon Bruno Maleine, être suivies d’une évolution de la législation, « car on ne condamne pas aujourd’hui un individu de la même façon, selon qu’il a agressé les forces de police ou un pharmacien. Il faudrait une peine plancher ». S’il concède que les patients puissent être excédés par une complexification de la dispensation, génératrice de frictions avec leur pharmacien, rien n’excuse les actes et parfois même les déchaînements de violences dont la profession est la cible.
Sortir de la zone de confort
D’autres leviers ne sont-ils pas nécessaires pour endiguer ce phénomène et, surtout, garantir la sécurité des équipes officinales ? Les élections municipales ne seront-elles pas l’occasion d’inciter les élus locaux à repenser la place de la pharmacie d’officine dans la cité ? Le facteur de proximité est essentiel pour celui qui représente quelque 25 000 titulaires. De même, observe-t-il chez ses confrères officinaux que la pandémie a renforcé les liens avec les biologistes ou encore que les ruptures les ont rapprochés des pharmaciens de l’industrie.
Sortir de sa zone de confort, apprendre à se connaître, à se faire confiance… Cela vaut aussi, croit Bruno Maleine, dans les relations avec les autres professionnels de santé qui permettront in fine d’avancer dans le partage des tâches. Que ce soit dans des dossiers aussi complexe que la lutte contre la soumission chimique ou comme au Québec, dans la prise en charge globale de la pilule du lendemain comprenant le traitement post-exposition et la contraception. Ou encore dans la mise en place de nouvelles missions en interrogeant, pourquoi pas, la population sur ses besoins ? Mais ce dialogue, si essentiel à l’interprofessionnalité et au parcours de soins, doit avant toute chose s’instaurer entre les pharmaciens d’officine et leurs instances ordinales. Las ! Le taux de participation de 16,61 % enregistré aux élections de la section A laisse à Bruno Maleine le sentiment d’un rendez-vous manqué. Mais aussi la conviction qu’il reste un chemin à parcourir pour donner plus de visibilité aux actions menées, pour humaniser l’Ordre aux yeux de ses confrères et pour fédérer les métiers de la pharmacie.