« À l’époque, peu de femmes osaient se lancer dans des études aussi longues », soulignait Anne-Marie Raust, lors du 70e anniversaire de son officine de Balma (Haute-Garonne). En effet, cette pharmacienne centenaire n’a rien oublié de sa carrière et de son rôle de pionnière.
Née à Samatan (Gers), Anne-Marie est fille de teinturière. Elle en gardera la passion des petites fioles, le goût du travail bien fait et le respect du client. Son père l’aurait préférée professeure, mais il cède à sa volonté de rejoindre la faculté de pharmacie. Il lui fait même donner des cours de chimie, matière où elle ne brille guère.
Quelques années plus tard, la jeune pharmacienne découvre Balma lors d’une balade à vélo. Ce bourg de 1 000 habitants ne compte qu’un café, la mairie-école et une boulangerie. Elle y ouvre la première pharmacie, Route de Mons, en janvier 1952. Elle a 32 ans : « À l’époque il n’y avait que des prairies et des vaches, se souvient sa fille, Martine Ducap. L’officine était toute petite, avec des meubles en bois blanc faits par un menuisier local, et un banc pour permettre aux patients de discuter ou se reposer. » En 1956, Anne-Marie forme sa première préparatrice, une élève brillante de 14 ans, recommandée par l’instituteur du village.
Son mari, Charles Raust, pharmacien rencontré à la fac, travaille chez le répartiteur Silbert. Puis, en 1962, il ouvre une officine à 200 mètres de celle de sa femme et s’implique dans le syndicat. La pharmacie d’Anne-Marie devient la Pharmacie des écoles, pour la différencier de celle de son époux. Les deux officines se développent au rythme de la croissance du bourg de Balma qui atteint aujourd’hui 17 000 habitants.
La pharmacie comme un don de soi
« Ma mère profitait toujours d’une délivrance pour donner des conseils d’hygiène, de prévention, s’assurer que la posologie était bien comprise. Elle créait aussi des vitrines éducatives selon les saisons. Pour elle, la pharmacie était un don de soi », explique sa fille, qui épousera un pharmacien, Alex Ducap. En 1975, celui-ci s’associe avec sa belle-mère. Comme son beau-père, décédé en 1982, il s’investit dans le syndicat, puis dans le CFA des préparateurs en pharmacie de Toulouse qu’il préside encore aujourd’hui.
Anne-Marie Raust prend sa retraite en 1994, à 74 ans, mais continue à rencontrer ses patients et à suivre la vie de l’officine reprise par son gendre, puis, en 2012, par son petit-fils, Adrien Ducap : « Les patients m’ont vu naître, me tutoient, m’appellent par mon prénom, explique-t-il. C’est un plaisir d’entretenir les liens tissés avec la population. Enfant, la pharmacie était mon terrain de jeu, j’allais avec mon père chercher les commandes chez le grossiste, je rangeais les boîtes, j’agrafais les papiers de mutuelles… C’était avant l’informatique à laquelle ma grand-mère s’est d’ailleurs très bien adaptée. Elle a surpris tout le monde ! C’était une autre époque, je me souviens de mon grand-père partant en pleine nuit et en peignoir, livrer des patients. » C’est cette vision humaniste du métier qu’il poursuit au travers des nouvelles missions.
Femme inspirante
Aujourd’hui en EHPAD, Anne-Marie Raust n’a pas oublié son officine : « Est-ce que le petit est aimé des patients ? » demande-t-elle régulièrement.
Son dévouement lui a valu de figurer dans une exposition, créée cette année, dans le cadre de la semaine internationale des droits des femmes et consacrée à cinq « femmes inspirantes, femmes remarquables » de Balma. Sous son portrait, elle déclare : « À bientôt 102 ans, je reste active et souriante à la vie. » Et une femme de caractère : « Elle n’a presque jamais pris de médicament, souligne sa fille. Aujourd’hui encore, c’est compliqué de les lui faire accepter. » Un comble.