DEPUIS maintenant trois semaines, les médecins refusent, avec fracas, d’entrer dans l’ère du tiers payant. En quête d’arguments, certains grévistes n’ont pas hésité à puiser dans l’expérience de la pharmacie. À bon escient car les pharmaciens les précèdent de quarante ans, dans ce qui est aussi appelé pudiquement, « la délégation de paiement ». C’était en 1974. Ils furent les premiers professionnels de santé à être contraints de s’engager dans cette voie. Et pas davantage que les médecins aujourd’hui, ils n’ont manifesté d’enthousiasme à l’époque, pour cette « révolution » de la relation financière avec leurs patients.
Toutefois, à la différence de ce qui est actuellement prévu pour le corps médical, l’introduction du tiers payant à l’officine s’est faite par étapes. Jusqu’alors connu uniquement des pharmaciens mutualistes (pharmacies minières), il devient possible à partir de 1974, grâce aux conventions de délégation de paiement signées par les syndicats avec les organismes sociaux. Il faudra cependant attendre 1982 pour que les pharmaciens puissent systématiquement proposer cette dispense de l’avance de frais à leurs clients, sans autre condition que leur éligibilité à la couverture de l’assurance-maladie. Sur une base volontaire, le tiers payant est alors utilisé par certains titulaires comme appât marketing. On se souvient des affichettes apposées sur les vitrines, « ici, on pratique le tiers payant ».
Avance de fonds.
Au fil des ans, la délégation de paiement prend de l’ampleur. En 1995, le point de non-retour est atteint avec 60 % des ordonnances prises en charge en tiers payant (1). Treize ans plus tard, 85 % du chiffre d’affaires sur le médicament remboursable se fait en tiers payant. Mais sa gestion a transformé l’officine en usine à gaz. En 2009, une enquête de Santeffi (2), filiale du Crédit agricole spécialisée dans la télétransmission SESAM-Vitale, atteste que l’identification des dossiers non-payés mobilisait un employé, pour rapprocher chaque mois en moyenne 708 virements bancaires à 2 160 dossiers et 3 080 factures. Coût de l’opération : 1/1 000 du chiffre d’affaires. Pour autant, cet investissement n’empêche pas une pénalisation financière. Car, selon la même étude, 5,3 % des dossiers tiers payant restent impayés, représentant un risque mensuel de 2 933 euros par officine ! Corroborant les craintes actuelles des médecins, nombre de titulaires affirment faire les frais de « cette avance de fonds » (la trésorerie en attente de recouvrement étant estimée à 20 000 euros). Pire, ils déclarent en être parfois pour leur argent, les sommes non recouvrées pouvant atteindre jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires.
À l’été 2012, le dispositif « tiers payant contre générique » (TPCG) marque le dernier virage important. En conditionnant le tiers payant à la délivrance d’un générique, il systématise la dispense d’avance de frais et assoie la notoriété d’un principe jusque-là diffus pour le public.
Un taux d’impayés toujours élevé.
Les pharmaciens mettent alors en œuvre le tiers payant généralisé qui va stimuler la télétransmission, pourtant lancée en 1998. Les titulaires n’en continuent pas moins d’endosser la charge administrative revenant à l’assurance-maladie et aux complémentaires, auxquelles ils font réaliser au passage quelques économies. « Une feuille électronique de soins, c’est quelques centimes d’euros de traitement. Une feuille de papier, c’est plus qu’un euro ! », rappelle Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre national des pharmaciens, en juillet dernier. De fait, si en 2010, le « zéro papier » ne concernait que 84 % des flux, moins de deux ans plus tard, avec la dématérialisation des ordonnances, photocopies et doubles à classer ont disparu définitivement de l’officine. Juste retour des choses, les délais de paiement se sont aujourd’hui raccourcis à moins de cinq jours (huit jours pour les organismes complémentaires). Mais si le besoin en trésorerie s’est réduit en moyenne à J +8, le taux d’impayés n’a, lui, pas reculé. Le nombre de mutuelles en augmentation a complexifié les recours.
Quant à la transparence, elle tend à se dégrader si l’on en croit certains pharmaciens dénonçant déjà le nouvel imbroglio du règlement des entretiens AVK « noyé dans le paiement des télétransmissions de tiers payant ». Une mise en garde à peine voilée à l’intention des médecins par des titulaires favorables à une carte à débit différé. Le paiement différé des honoraires est ailleurs un usage connu. Il est pratiqué par des auxiliaires médicaux, infirmières libérales ou kinés. Ces professionnels autorisés à pratiquer le tiers payant par des conventions, mais sous conditions restrictives, y ont recours à la demande de leurs patients.
(2) Enquête Santeffi sur le tiers payant en officine sur un panel de 400 officines dont le chiffre d’affaires tiers payant mensuel des pharmacies étudiées est de 103 977 euros pour 2 166 dossiers avec un panier moyen de 48 euros.
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